Qu’est-ce qu’un jeune enfant comprend d’une situation complexe, tel que le divorce de ses parents, ou le décès de son grand-père ?
Les enfants les plus jeunes, jusqu’à 2 ans, ne peuvent comprendre grand-chose sur le fond. Mais ils ont une forme d’intelligence perceptive qui leur permet de saisir avec une extraordinaire acuité toute forme de changement dans leur quotidien ou dans l’humeur de leurs proches. Si, par exemple, une personne décède dans la famille, ils ne peuvent pas saisir la teneur de cet événement. Mais ils ressentent que l’atmosphère familiale a changé, que leurs parents sont tristes, moins disponibles pour jouer ou communiquer. Et c’est la raison pour laquelle on ne peut pas faire comme si de rien n’était ! Le bébé structure son rapport au monde à travers les relations qu’il entretient avec les adultes qui s’occupent de lui : il relie progressivement les situations qu’il vit avec les mots posés par les adultes pour nommer les événements et les émotions qui les accompagnent. Si l’on décide d’attendre que la compréhension soit parfaitement au rendez-vous pour parler à l’enfant, alors on peut repousser indéfiniment l’échéance, car les situations de la vie sont souvent d’une telle complexité qu’on peut toujours se réfugier derrière cet argument pour ne rien en dire. Et puis, parler aux enfants de tout ce qui les concerne, dès le plus jeune âge, est aussi une manière pour l’adulte de s’habituer à trouver les mots et à les prononcer. L’échange entre le tout-petit et son entourage s’inscrit ainsi dans un continuum dans lequel l’enfant se repère de mieux en mieux au fil des mois. Lorsqu’un événement familial, notamment douloureux, est passé sous silence sous prétexte qu’un tout-petit ne parle pas, il est fréquent qu’il ne soit pas réabordé par la suite. À l’inverse, s’il est nommé, il continuera à faire partie des échanges familiaux.
Comment évolue la compréhension du tout-petit au fil de son développement ?
Le tout-petit appréhende d’abord le monde au travers de ses sensations, de ses éprouvés corporels, de ses perceptions sensorielles. Les mots des adultes viennent peu à peu nommer et structurer ce vécu sensoriel, lui donner du sens. Puis, à partir de 2 ans, l’enfant passe progressivement d’une compréhension perceptive du monde et des événements à une compréhension narrative : le langage se développe, et il comprend d’ailleurs les mots avant de pouvoir les prononcer et les utiliser lui-même. Enfin, entre 3 ans et 6 ans, les repères spatio-temporels se mettent en place. Il saisit alors le sens des adverbes de temps et d’espace : « avant », « maintenant », « après », « ici », « ailleurs », etc.
Les mots ont-ils pour l’enfant une valeur moindre que les émotions, que l’infra-verbal ?
En effet. L’enfant parle avant tout le langage du corps et des émotions, et c’est d’autant plus vrai qu’il est plus jeune. C’est pourquoi, face à un enfant, il est particulièrement important de mettre son discours en accord avec ses émotions. C’est le fameux « parler vrai » que préconisait Françoise Dolto. Cela signifie qu’il n’est pas judicieux de dire que l’on est content si l’on est triste, même avec la louable intention de protéger l’enfant… car alors il ne sait plus à quel saint se vouer !