Comment s'engager dans la vie de la cité ?

De 161 à 180, le stoïcien Marc Aurèle a régné sur un très vaste empire, imposant en Occident le modèle du « philosophe empereur ». Mais la philosophie et l’action politique font-elles si bon ménage ?

En 161, quand Marc Aurèle parvient à la tête de l’Empire romain, après son adoption par Antonin le Pieux, il a 40 ans. Il a donc eu tout le temps de se préparer à l’exercice d’un pouvoir qu’il partage au début avec Lucius Vérus, plus doué pour l’action que pour la spéculation philosophique. L’attelage ainsi formé était censé réaliser l’équilibre parfait entre un empereur à la réputation d’intellectuel et son coempereur. Et de fait, tandis que Marc Aurèle resté à Rome s’emploie à administrer l’Empire, L. Vérus se charge de mener en Orient les guerres nécessaires à la sécurité de ses frontières. La mort prématurée de L. Vérus en 169 brise ce bel équilibre ; elle contraint Marc Aurèle, désormais seul à la tête de l’Empire, à agir sur tous les fronts. Et il n’aura pas trop de toute sa philosophie pour relever ce nouveau défi.

Si Marc Aurèle n’est pas né philosophe, il témoigne très tôt d’un fort attachement à la philosophie. Un de ses maîtres, Rusticus, eut en particulier sur lui une influence déterminante en le détachant de la rhétorique qu’un autre de ses professeurs, l’orateur Fronton, avait commencé de lui enseigner. Et même si Marc Aurèle reste profondément attaché à Fronton, avec qui, une fois devenu empereur, il continue d’échanger une abondante correspondance, lui confiant ses doutes et ses interrogations, très vite, c’est l’amour de la philosophie qui l’emporte.

Le jeune homme, tout entier à sa nouvelle passion, décide même de dormir à même le sol enroulé d’un simple manteau pour mieux adopter le genre de vie des philosophes. Sa mère, aussi cultivée qu’aimante, doit intervenir pour modérer ces excès, sans pour autant cesser d’encourager les progrès de son fils qui passe désormais presque tout son temps à étudier les grands philosophes : Platon, Aristote, et surtout Épictète, un ancien esclave décrit par ses disciples comme insensible à la douleur et qui prônait le contrôle des passions et la maîtrise de soi.

Pour Platon déjà, dans La République, il ne peut y avoir de bonheur pour la cité qu’à la condition que le philosophe devienne roi ou le roi philosophe. À l’époque romaine, au sein d’un empire désormais mondialisé, la complexité et l’importance des affaires ont fini de convaincre les esprits qu’on ne s’improvise pas politique et que l’exercice du pouvoir requiert une forme de connaissance universelle et au-delà du bien absolu. Certains commencent cependant à douter : est-ce bien raisonnable qu’un futur empereur connaisse tant de philosophie ? Et est-ce bien la meilleure éducation pour le futur maître du monde ?