Et si… Si Hitler avait gagné la guerre, si Napoléon avait envahi l’Angleterre, si Ponce Pilate avait gracié Jésus, où en serions-nous aujourd’hui ? L’histoire contrefactuelle, qui a le vent en poupe chez les écrivains et cinéastes, a longtemps été dédaignée par les historiens français, marqués depuis le 19e siècle par une pratique inspirée des sciences exactes : établir les faits, tous les faits, rien que les faits. N’est-il pas vain pour un historien de perdre son temps à imaginer ce qui n’est pas advenu ? Pourtant la « what if history » est largement pratiquée chez les historiens anglo-saxons. Consistant à imaginer un « embranchement » différent lors d’événements cruciaux, puis à en tirer le fil, elle permet, selon ses partisans, d’explorer une dynamique « toutes choses égales par ailleurs ». Ainsi par exemple l’économiste Robert Fogel calcula-t-il que même sans chemin de fer, les États-Unis auraient connu la même croissance au 19e siècle, relativisant ainsi l’importance accordée au réseau ferré. Depuis quelques années, certains historiens français tentent de réhabiliter l’exercice. Ils s’intéressent toutefois moins à un futur imaginaire qu’à la façon dont les contemporains ont imaginé leur propre avenir. L’objectif est de restituer – archives à l’appui – les anticipations des acteurs de l’époque. Ils montrent, par exemple, que les Français de 1847 n’anticipaient pas du tout une nouvelle révolution, ou que les Européens lors de la guerre des Boxers craignaient une cinglante défaite… Voilà qui permet d’éviter toute analyse déterministe de l’histoire (« cela devait nécessairement arriver ») et restitue au contraire « l’histoire des possibles ». À l’heure où l’on évoque sans relâche des contraintes apparemment indépassables (qu’il s’agisse du libéralisme ou de la catastrophe climatique) rien d’étonnant à ce qu’un tel courant ait le vent en poupe…
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Abécédaire des idées d'aujourd'hui
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