En Corée, la vision traditionnelle du Néolithique est également battue en brèche. Cela participe d’un renouvellement complet de l’archéologie de la péninsule coréenne. Les historiens ont longtemps pensé que le premier État coréen, Gojoseon (2333-108 avant J.-C.), enregistré dans les anciens récits, correspondait à l’âge du bronze. Une proximité linguistique entre la langue coréenne et celle des peuples de l’Altaï (Sibérie) ainsi qu’une éude croisée des mythes fournissaient des arguments pour une origine sibérienne du peuple coréen. Mais nous savons maintenant que la première société de la péninsule coréenne remonte à bien plus longtemps, c’est-à-dire jusqu’au début du Néolithique, vers 8000 ans avant J.-C. Mais c’est d’un bien curieux Néolithique qu’il s’agit.
Un Néolithique sans agriculture ?
La plupart des archéologues coréens datent le début du Néolithique à partir de l’apparition de la première poterie. Autrefois attribuée au IVe millénaire avant J.-C., celle-ci est aujourd’hui repoussée à 8000-9000 ans par les plus récentes découvertes, sur le site de Gosan-ri, dans l’île de Jeju. Pourtant, à côté des poteries, ne subsiste aucun autre élément qui puisse être associé au Néolithique, comme des traces de la domestication d’animaux ou de végétaux, de la pierre polie ou des habitations pérennes. Les poteries de ce site sont faites d’un mélange de matériel fibreux à base de végétaux et d’argile douce, sans aucun ornement, les points et les figures géométriques relevés sur la surface de certaines d’entre elles provenant de poudre de coquillages mélangée avec du sable doux. L’outillage lithique en grès se rapproche par ailleurs de ce qu’on connaît pour le Mésolithique. Cette période est assez mal connue en Corée, du fait de la remontée progressive du niveau de la mer, autrefois 120 m plus bas, à la fin de l’époque glaciaire. Les sites sont aujourd’hui, pour leur plus grande partie, sous les eaux, sauf ceux de Seokjang-ri et de Gosan-ri, ainsi que la base des amas coquilliers de Sangnodai-do.Classiquement, les chercheurs coréens considèrent comme néolithiques les vestiges d’installation du site d’Osan-ri (vers 6000 ans avant J.-C.). Ceci en raison de la présence de poteries et de pierres polies. Or, aucune trace d’une quelconque activité agricole n’a, pour le moment, été découverte sur ce site. Contrairement au Néolithique européen et proche-oriental, le Néolithique coréen semble (sauf quelques sites exceptionnels comme Daecheon-ri) méconnaître l’agriculture, sa toute fin mise à part. Peut-être est-ce parce que la plupart des sites se trouvent au bord de la mer ou au bord de la rivière ? En tout cas, preuve est faite que le polissage de la pierre et la création de la céramique ne sont pas forcément liées au développement immédiat de l’agriculture. La poterie a probablement servi, suppose-t-on, à cuisiner et contenir des ressources acquises à la chasse, à la pêche et lors de la collecte.
Les marins de Bangu-dae
Le site d’art rupestre de Bangu-dae, dans la région d’Ulsan, reflète bien une culture maritime d’époque néolithique. Il est situé sur la rive gauche de Taehwa, qui coule en direction de l’est et rejoint la mer de l’Est (appelée aussi mer du Japon). Les représentations se composent de quatre catégories de thèmes : anthropomorphes, animaux, outillage et motifs indéterminés. De nombreux animaux marins sont représentés, ainsi que des scènes de chasse à la baleine. Mais il y a aussi des cervidés en grand nombre. Cette association d’animaux marins et forestiers est assez surprenante, mais l’archéologie permet de résoudre cette apparente contradiction. Beaucoup d’indices permettent de rattacher ces gravures aux communautés néolithiques de la côte, datées d’entre 7000 et 3500 ans environ. Des ossements de cétacés ont en effet été découverts dans les sites d’époque néolithique (Sejuk-ri, de Dongsam-dong, Sangnodae-do, Yokgi-do, Suga-ri, Mok-do, Bumbang, etc.). Un bateau, déterré dans les amas coquilliers du site de Bibong-ri, prouve également que des groupes résidant au bord de la mer naviguaient déjà à cette époque et chassaient des mammifères marins. Façonné en bois de pin, d’une longueur d’environ 4 mètres, il a fourni quantité d’objets, dont certains en matériau périssable, conservés grâce au milieu spécifique de l’amas coquilliers duquel on l’a mis au jour : un conteneur avec des glands à l’intérieur, des amas de pierre contenant des os d’animaux (cerf, chien, sanglier), des pépins de fruits secs, des haches en pierre polie, une meule de pierre, des poteries ornées d’un motif en peigne, des sacs en filet tressés en roseau et divers outils. Nous possédons ainsi des témoignages de la vie ancienne de ces pêcheurs qui, semble-t-il, chassaient baleines et phoques de l’hiver au printemps, collectant par ailleurs des glands de chêne et des fruits secs, et chassant le cerf en automne. Ainsi s’expliquerait la coexistence des motifs animaliers sur la paroi de Bangu-dae. Nous pourrions être en face de la représentation d’activités saisonnières.
Sur le site de Daecheon-ri (environ 5000 ans avant J.-C), situé à l’intérieur du continent, des traces des cultures de riz, orge, blé, millet et chanvre ont été mises au jour. Pourtant, les vestiges situés à l’intérieur du continent sont très rares et l’agriculture y reste toujours un moyen d’existence secondaire par rapport à la chasse, la pêche et la collecte. Les traces de l’agriculture commencent à s’accroître à partir du milieu du Néolithique et à l’âge du bronze (1500-400 ans avant J.-C). La société se transforme alors : de grands villages sont construits et on commence à élever des mégalithes. Les amas coquilliers disparaissent peu à peu. Á l’âge du bronze, on peut constater un changement remarquable dans la société globale tel que la forme des poteries, des tombeaux et des habitations. Il est difficile de dire clairement si les cultures agricoles et la métallurgie sont arrivées dans les bagages de nouveaux peuples dans la péninsule coréenne, ou si elles sont le résultat de l’acculturation des populations néolithiques indigènes. En tout cas, on ne trouve pas de traces de conflits. Il est probable que le passage d’une société de chasseurs-cueilleurs à une société d’agriculteurs et de métallurgistes s’est faite d’une manière progressive et pacifique. Gojoseon, le premier État de la péninsule coréenne, est donc le produit d’influences complexes, qui remontent bien au-delà de l’âge du bronze.