Ce que « marier » veut dire
À propos de l’article d’Anne Loriaux intitulé « Couples de même sexe : le droit progresse en Europe » paru dans notre mensuel 295 (août-septembre 2017), Michel Gille nous a fait part de son désaccord sur un point précis, celui des termes employés.
En réaction à votre article sur « les couples de même sexe », je m’en voudrais de ne pas dire un mot du si mal nommé « mariage homosexuel ». Si l’assemblage de ces deux mots me hérisse, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, parce qu’il institutionnalise l’union entre deux personnes de même sexe – une fois admis le caractère naturel de leur inclination, on ne voit pas pourquoi celle-ci ne donnerait pas lieu à une vie commune et pourquoi cette cohabitation ne serait pas légale – mais parce qu’il donne à cette union le nom de « mariage », ce qui dénature à la foi le sens littéral et la signification profonde de ce terme. Pour le dictionnaire comme pour les institutions religieuses aussi bien que profanes, le mariage unit une femme et un homme. Qu’on officialise donc l’union homosexuelle mais, de grâce, qu’on lui trouve une autre appellation que celle de « mariage ».
Le texte d’Anne Loriaux considérait l’ensemble des unions ouvertes aux personnes de même sexe, et ne prétendait pas débattre de l’opportunité du terme « mariage ». Mais qu’à cela ne tienne, votre commentaire m’a inspiré l’envie de faire une recherche sur l’étymologie de ce mot. Il apparaît en français aux 11 (selon le ) et 12 siècles (selon le ), avec le sens d’. Le remonte plus haut et renvoie au verbe latin « », lui-même formé sur le radical « », qui désigne le mâle (homme ou animal). était employé en latin pour désigner le fait d’unir un homme et une femme, mais aussi, plus largement, d’associer intimement deux êtres ou deux choses différentes : ainsi, le poète Horace parle de . C’est un sens présent aussi en français : dans ses , Montaigne évoque le . Des expressions existent dans le langage courant avec le sens de réunir dans une même action des choses ordinairement séparées (par exemple , , etc. On parle aussi de . Est-il donc si abusif de parler du « mariage » de deux hommes ou de deux femmes ? Au sens du sacrement religieux, ça semble un peu hérétique. Mais au sens plus général du rapprochement de deux êtres, quelles que soient leurs ressemblances, ça n’est pas forcément un abus de langage. Voyez par exemple ce que l’on peut dire de deux associés qui travaillent bien ensemble : on soulignera par exemple que leurs compétences, quoique différentes, . Vu sous cet angle, il semble que marier Pierre avec Paul ou Pierrette avec Paulette ne trahisse pas le sens large du substantif « mariage » et du verbe « marier ». Car il y a toujours quelque différence entre deux individus qui justifie qu’en les mariant, on les invite à la surmonter.