La bonne blague circulaire
Vous connaissez l’histoire des bûcherons qui coupent du bois parce que chaque fois qu’ils passent devant un Indien, il leur dit que l’hiver sera de plus en plus rigoureux ? Évidemment, il fait cette réponse parce que lui-même les voit avec les bras sans cesse plus chargés. Personne n’a raison, personne n’a tort : tous sont pris dans un système circulaire qui s’entretient lui-même. Pour les théoriciens de Palo Alto, il en va de même au sein d’une famille ou d’un groupe social : c’est l’ensemble qu’il faut soigner en cas de dysfonctionnement, le malade désigné servant seulement de bouc émissaire.
La double contrainte
Tout commence avec l’anthropologue Gregory Bateson (1904-1980) qui étudie les régulations mises en œuvre par les groupes sociaux pour éviter l’implosion. Il s’inspire de la cybernétique (Norbert Wiener), de la théorie des types logiques de Bertrand Russell et Alfred Whitehead, et de la théorie générale des systèmes (Kark Ludwig von Bertalanffy) qui s’intéresse aux régulations automatiques des systèmes complexes en réponse à un feed-back, ou boucle de rétroaction. Fort également des observations de son épouse Margaret Mead (1901-1978) sur les messages contradictoires adressés par certaines villageoises de Bali à leurs enfants, il avance, en 1956, sa théorie de la double contrainte qu’il suppose, à tort, à la source de la schizophrénie : le malade serait victime de communications paradoxales, à la logique faussée, dont on ne peut tirer une réaction comportementale appropriée (par exemple, si la mère tient des propos bienveillants mais en restant glaciale). Il s’installe à l’hôpital psychiatrique de la Veterans Administration de Palo Alto, ville éponyme nichée dans la banlieue sud de San Francisco, près de Stanford, pour observer les psychotiques. Il est rejoint au fil des années 1950 par des chercheurs que passionnent l’homéostasie familiale et la communication : Don Jackson, William Fry, John Weakland, Jay Haley…
• Paul Watzlawick. (1983). Points, 2014. • Jean-Jacques Wittezaele, Giorgio Nardone. Seuil, 2016.