Crise des réfugiés : des psys dans la bataille

Comment s’organise l’aide psychologique apportée aux réfugiés ? Reportage à Paris et à Vienne, dans deux lieux d’accueils aux méthodes très différentes…

Maison des Réfugiés à Paris : le chaos malgré les bonnes volontés

« Quelqu’un sait où je peux trouver Salim ? On m’a dit qu’il avait une vingtaine d’années et qu’il était petit. » Dans l’immense cour de la Maison des réfugiés, ancien lycée désaffecté du dix-neuvième arrondissement de Paris, où plus d’un millier de Soudanais, d’Afghans, de Libyens, d’Érythréens, d’Algériens et de Tunisiens, jouent au basket, font la queue pour manger, pianotent sur leur téléphone portable ou assistent à un cours de français, je mesure l’incongruité de ma demande.

L’information m’a été transmise via un groupe initié sur les réseaux sociaux dont je fais partie, et qui regroupe les infirmiers de la Maison des Réfugiés et une dizaine de psys de toutes obédiences – des lacaniens aux hypnothérapeutes, en passant par les gestaltistes ou les comportementalistes. L’infirmerie a demandé que je rencontre Salim pour une raison précise. Il y a cinq jours, il a voulu se jeter du toit du lycée. Ce sont ses camarades de chambre, une dizaine à se partager quelques vingt mètres carrés, qui le rattraperont in extremis. Arrivée sur les lieux, je ne sais pas même à qui m’adresser. Malgré mon expérience dans un service de psychiatrie adulte puis dans un cabinet en libéral, je me sens tout à coup démunie. Je monte les escaliers quatre à quatre. Je redescends. Puis je remonte. Ce que je vois dans tous ces regards, je ne l’avais jamais vu nulle part avant. Ces femmes, ces hommes et ces enfants n’ont pas une vague idée de ce qu’est l’horreur, ils l’ont rencontrée, à Damas, à Asmara, à Khartoum, à Kaboul ou à Tunis. Une nuit, ils ont cessé de dormir. Ils ont fait la guerre. Ils se sont fait torturer. Ils ont vu leurs proches se faire éventrer sous leurs yeux. Ils ont pris des bateaux. L’un d’eux, dont l’histoire a été très médiatisée, racontera comment il a vu, pendant la traversée vers l’Europe, une femme jeter à la mer son nourrisson décédé pour éviter les risques sanitaires.

« Je suis le chien des chiens »

Il y a ceux qui avant d’en être expulsés, dormaient à la Halle Pajol, dans le 18e arrondissement de Paris ; ceux qui sont arrivés ce matin, en famille, mais qu’on ne peut même plus loger dans le lycée, ceux qui ne restent que quelques jours, ceux qui un jour partent pour Calais, ceux qui en reviennent, en faisant état de conditions sanitaires abominables, et d’autres qui disparaissent, on ne sait où. Derrière une porte, une cuisine improvisée au milieu de laquelle trône une gigantesque marmite dans laquelle une femme sans âge fait cuire du riz, imperturbablement. Dans une autre pièce, une dizaine de matelas jonchent le sol, au milieu de vêtements et de détritus. Sur la porte des toilettes, on a écrit « Ça n’est pas des douches ». Mais les douches, justement, il n’y en a que trois.

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Un groupe s’approche de moi. « Si tu veux voir Salim, il est au premier étage, on t’accompagne. » Immédiatement, je remarque que l’un d’eux est de petite taille. Je pressens qu’il est peut-être bien le Selim que je cherche, et que je suis en train de me faire balader. Mais il va falloir en passer par ce bizutage. Retour à l’accueil, devant l’entrée, où j’apprends que c’est là que le groupe dit des « Maghrébins » a élu domicile, dans trois minuscules pièces contiguës, entièrement décorées de dessins réalisés par l’un d’eux, que les autres appellent « le poète », un Tunisien qui répondra à chacune de mes questions à coup de vers et d’aphorismes pendant une heure jusqu’à ce que son visage se cisaille sous les larmes. Il est 17 heures et plusieurs d’entre eux décident de manger. J’annonce alors mon intention de partir. « Si par hasard vous voyez Salim, vous lui dites que s’il a besoin de parler, il peut m’appeler à ce numéro. » Comme je regarde silencieusement dans les yeux le petit homme, il me lance un : « C’est bon, la psy, je veux bien te parler, mais d’abord je vais manger. »