D'où viennent les identités sociales ?

Selon le contexte, nous nous sentons appartenir à un groupe plutôt qu’à un autre. Mais d’où vient cette « catégorisation sociale » ? Si elle nous aide à nous repérer dans la société, elle nous fait aussi commettre de grossières erreurs de jugement…

C’est une chose entendue (en psychologie sociale) : l’individu a tendance à favoriser les membres de son groupe et/ou à défavoriser les membres des autres groupes. La raison est plutôt facile à comprendre : favoriser son groupe c’est un peu se favoriser soi-même, tentation à laquelle les résistants sont très rares. Ce mode opératoire s’active d’ailleurs souvent automatiquement, même chez ceux partageant des valeurs égalitaires. Il en résulte une société où les stéréotypes* 1, les préjugés* 2 et les discriminations* 3 continuent à se maintenir et à se diffuser largement, bien que ces dernières soient punies légalement. Soit. Mais s’il est une évidence qu’on favorise son propre groupe, comment définir précisément ce qu’est son groupe et qui sont les autres ?

Prenons l’exemple d’un habitant du nord de la France. Se sentira-t-il comme le semblable d’un Marseillais (du même pays) ou d’un habitant du sud de la Belgique (plus proche géographiquement) ? De la même manière, un Espagnol se percevra-t-il plutôt du même groupe qu’un Danois (Européen également) ou qu’un Argentin (partageant la même langue) ? Imaginons maintenant que cet Espagnol soit une Espagnole, féministe engagée : se considérera-t-elle avant tout solidaire de toutes les femmes, peu importe leur origine, ou préférera-t-elle mettre en avant son origine culturelle ? Et si cette femme a une enfant, âgée de 16 ans, cette dernière se décrira-t-elle plutôt comme une adolescente que comme « femme » ou « Espagnole » ? Bref, les combinaisons semblent infinies, au point de se demander s’il existe une véritable logique (psychologique) derrière ce chaos identitaire.

Le paradigme des groupes minimaux

La première étape est de comprendre à partir de quand un individu se sent appartenir à un groupe, et entreprend le processus de catégorisation « mon groupe » (dit endogroupe) versus « le ou les autre(s) groupe(s) » (dit exogroupe(s). C’est ce qu’a entrepris Henri Tajfel* 4 dans une célèbre expérience menée dans les années 1970. Des volontaires, seuls dans une pièce, étaient invités, de façon anonyme, à estimer le nombre de points présentés sur un écran. à la fin de la tâche, l’expérimentateur leur expliquait que certains d’entre eux avaient tendance à sous-estimer le nombre de points tandis que d’autres avaient tendance à le surestimer. Il n’en fallut pas plus pour que deux groupes soient formés : les sous-estimateurs et les sur-estimateurs ! Résultat : les participants avaient le sentiment de faire partie d’un groupe unique et développaient des attitudes plus positives envers les membres de l’endogroupe. Sans même qu’ils ne se soient jamais rencontrés ou aperçus. Et alors qu’ils ont été assignés dans l’un des deux groupes de façon totalement aléatoire (peu importe le nombre de points qu’ils ont réellement compté…). C’est ce qu’on appelle le paradigme des groupes minimaux, qui montre qu’endogroupes et exogroupes peuvent être créés dans les conditions les plus minimales. Il n’y a donc nulle nécessité d’un grand passif historique ou culturel pour développer un sentiment d’appartenance.