«Dans le rêve, vous vous parlez à vous-même» Rencontre avec Bernard Lahire

Depuis 2018, le sociologue Bernard Lahire se penche sur nos rêves, un matériau qui lui permet d’explorer autrement les problématiques sociales des individus.

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Comment vous est venue l’idée de travailler sur les rêves ?

Lorsque j’écrivais L’Homme pluriel (1998), j’ai découvert Anselm Strauss, un sociologue états-unien, qui avait étudié les rêveries éveillées. À la même époque, je travaillais aux États-Unis, et j’ai découvert qu’un groupe de sociologues américains interactionnistes se lançait dans la sociologie des rêves, autour de Gary Alan Fine. J’étais fasciné !

Mais le rêve ne les intéressait qu’à partir du moment où il était raconté, confié à autrui. Ils analysaient la circulation et les usages sociaux du rêve, qui diffèrent selon les sociétés et les milieux. Par exemple, dans les sociétés animistes, les rêves sont partagés collectivement, il y a des lectures et des interprétations de rêves en groupe. Dans notre société, confier ses rêves est plus intime. Pour cela, on a nos proches ou la psychanalyse…

Pour ma part, les questions qui m’intéressent sont les mêmes que celles que se posait Freud, c’est-à-dire comment fonctionnent les rêves, comment ils se fabriquent et s’interprètent.

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Quel rapport avez-vous avec l’approche proposée par Freud ?

Quand Freud publie L’Interprétation des rêves (1899), c’est une sorte de mainmise sur l’objet rêve. Difficile d’arriver après lui ! La psychanalyse est impressionnante, surtout en France. Les États-Unis ont davantage de liberté par rapport à cette tradition. En ce qui me concerne, il m’a fallu apprendre à maîtriser les théories psychanalytiques, lire non seulement Freud, mais ses disciples et ses critiques, pour m’autoriser à travailler sur le rêve. Parce que je pense que Freud a accompli à son époque quelque chose de scientifiquement très important, notamment dans sa prise en compte de l’inconscient.