La sociologie peut-elle à nouveau définir une vision globale de la société, tout en rompant avec les perspectives classiques fondées sur une naturalisation de l'ordre social, et sur l'existence de principes explicatifs centraux ? François Dubet et Danilo Martuccelli, chercheurs au CADIS, insistent sur la nécessité de répondre positivement à cette question, largement éludée par la sociologie des deux dernières décennies.
Les auteurs partent tout d'abord de l'effondrement des deux thèmes classiques qui unifiaient l'idée de société. D'une part, l'émiettement des classes sociales. Elles étaient « totales », dans la société industrielle, impliquant une position sociale, une communauté de vie, et un acteur social collectif, mais ce schéma n'est plus opérant, les positions sociales se diversifient et les critères de classement des individus se complexifient ; par ailleurs, le désenclavement des expériences de vie tend à voir se dissocier les pratiques culturelles et la position de classe. D'autre part, il y a ce qu'ils nomment la « désinstitutionnalisation », qui accompagne le processus de « désocialisation ». Les grandes institutions n'ont plus pour vocation de transmettre des valeurs, des normes générales, intériorisées par les individus. Ainsi s'éteint l'école républicaine. Ce sanctuaire est pénétré à la fois par le monde instrumental techno-économique, et par la diversification culturelle et psychologique des individus en son sein. De même, la famille n'est plus une institution, désormais y triomphent l'intersubjectivité, l'amour, contre la transmission de règles ; enfin, au sein de l'Eglise, les prêtres en appellent moins au dogme qu'à la formation autonome du sujet à travers sa foi.