De la domination ottomane à l'influence turque

Pendant des siècles, la région fut une province ottomane. Un passé que la Turquie nous rappelle aujourd’hui avec fracas.

En février 2018, le président turc Recep Tayyip Erdogan, en désaccord avec son allié américain sur le conflit syrien, menaçait d’infliger à Washington une « gifle ottomane ». Cet accès d’orgueil impérial couronne quinze ans de reconstruction progressive par l’AKP, le parti islamiste actuellement au pouvoir en Turquie, d’un imaginaire ottoman mis à mal par l’occidentalisation kémaliste. Dans les faits, la diplomatie turque s’est depuis quelques années vigoureusement redéployée au Moyen-Orient, dans les anciennes provinces arabes de l’Empire, au point de devenir un acteur pivot des conflits régionaux.

Les Ottomans en terre arabe

C’est au début du 14e siècle qu’Osman 1er pose en Anatolie les bases d’un empire qui va durer cinq siècles. Les Ottomans sont des descendants de tribus turciques (turcophones), venues d’Asie centrale et converties à l’islam. Leur territoire s’étend d’abord vers l’Europe, à travers les Balkans ; mais la conquête du Moyen-Orient au 16e siècle, tardive et rapide, est d’une importance capitale pour consolider la légitimité politique et religieuse de la dynastie. La progression se fait depuis les frontières de l’Anatolie vers le Maghreb, avec les occupations successives de la Cilicie (1515), des territoires kurdes, de la Syrie et de la Palestine, de l’Égypte, de l’Irak puis de la péninsule Arabique et s’achève avec la prise d’Aden en 1548.

La gestion des terres arabes (et des terres kurdes) est assurée de façon pragmatique : il s’agit pour les sultans, installés à Constantinople, de maintenir un degré suffisant de centralisation pour mettre à profit les richesses des territoires, tout en préservant certaines féodalités locales pour assurer le contrôle sur place. Les provinces arabes sont administrées directement par la Sublime Porte (Constantinople), qui nomme des gouverneurs, les pachas, assistés de kadis (juges). Ces offices, non héréditaires, sont souvent dévolus à des notables issus de grandes familles du cru, qui jouissent d’une certaine autonomie. Au début du 19e siècle, alors que les troubles se multiplient et menacent la stabilité du système, Constantinople renforcera les pouvoirs des gouverneurs et imposera davantage d’étrangers.

La présence ottomane a laissé de remarquables traces artistiques et architecturales au Moyen-Orient. Les mosquées d’Alep, ses khans et ses bazars sont un témoignage esthétique de la symbiose culturelle prévalant alors. Le chevalier d’Arvieux, auteur de mémoires sur les mœurs et coutumes régionaux à la fin du 17e siècle, affirme ainsi qu’Alep est « sans contredit la ville la plus grande, la plus belle et la plus riche de tout l’Empire ottoman après Constantinople et Le Caire ». Les historiens débattent cependant encore sur le niveau de développement des parties arabes de l’Empire, qui auraient été délaissées au profit des possessions européennes. Retenons que le rapport des Ottomans au Moyen-Orient est fortement indexé sur l’importance de la question religieuse. Les terres arabes étaient majoritairement musulmanes avant la conquête ; les lieux saints de l’islam font l’objet de soins spécifiques, à la fois parce que le pèlerinage (hajj) est une importante source de revenus, et parce que l’islam, point commun entre Turcs et Arabes, est un outil de cohésion sociale et politique.