Samuel Dock, psychologue exerçant auprès d’adolescents et auteur entre autres de Punchlines, des ados chez le psy, affirmait en septembre 2019, sur le plateau de la chaîne télévisée LCI, qu’il recevait nombre de jeunes dont le mal-être repose sur des faits de société. Une récente étude pour l’institut YouSharp confirme que les enjeux qui inquiètent le plus la jeunesse actuelle sont l’urgence climatique, l’accroissement des inégalités et la crainte d’un nouveau conflit à l’échelle mondiale. Certains jeunes choisissent alors la voie de la contestation. C’est le cas de Lucas. Ce jeune de 17 ans, qui souhaite travailler dans les métiers de l’eau, est un farouche militant « de toutes les causes », selon ses propres mots. Il range sous son lit un masque du Joker, ce symbole anticapitaliste de la pop-culture. Il manifeste aussi régulièrement avec les Gilets jaunes et a eu des démêlés avec la police, allant jusqu’à un rappel à la loi. Ses proches s’inquiètent, le trouvant agressif, le sentant basculer « dans la violence ». Ses parents ont donc décidé de l’emmener consulter un psychologue. Lucas, lui, se dit « révolté ». Il estime que la réponse à sa colère se trouve non pas dans le bureau d’un psy, mais dans un changement sociétal. Le soutien psychologique, voire thérapeutique, a-t-il vraiment une réponse à lui offrir ?
Intellectualiser la colère
« Concrètement, dans le bureau du psy, la réponse ne sera pas politique », affirme François Herbreteau, psychologue spécialiste de l’adolescence. Pour lui, l’intervention doit plutôt porter sur la colère qui anime ces jeunes. Comme l’explique Stéphane Rusinek, professeur de psychologie des émotions à l’Université de Lille, dans son ouvrage bien nommé Les Émotions (Dunod, 2014), la révolte est en premier lieu une émotion ressentie face à une situation que l’on considère comme injuste. La révolte porte en l’occurrence sur des injustices génériques, c’est-à-dire sans interlocuteurs identifiables auprès de qui négocier, argumenter, s’imposer. Ainsi, quand Lucas souhaite « faire réagir le système », il ne fait pas référence à une personne. « Sans interlocuteur, il n’y a pas d’espace pour désamorcer le conflit, explique François Herbreteau. Si un jeune ne peut être entendu et respecté, se présente alors le risque qu’il veuille être craint. La colère va être alimentée par le manque de réponse et devenir de plus en plus impressionnante, avec une escalade de comportements agressifs. » Les adultes risquent alors de se focaliser sur l’acte délictueux et ses conséquences (un casier judiciaire, une exclusion du lycée…) plutôt que sur la colère initiale… ce qui renforce le sentiment d’absence d’interlocuteur.