Hier à Shanghai, les chars ont tiré sur les manifestants. Guangzhou est en état de siège. Les routes de Chine sont encombrées de millions de vagabonds qui tentent de gagner les campagnes. Aux Indes, à Bangalore, la capitale mondiale de l’ingénierie informatique, tout est à vendre, les gratte-ciel des entreprises high-tech, les palais des rois du GlobalWeb comme les immenses barres d’immeubles qui logeaient les salariés de base. La zone résidentielle protégée, avec ses tours de verre et d’acier, est assiégée par les foules en colère. Le PIB de l’AAN (Association of Asian Nations) s’est effondré de 25 % l’an passé. Le chômage atteint 32 % et le taux de pauvreté a été multiplié par deux. Plus de 2 000 « non-banques » ont cessé leurs paiements après l’effondrement de HSBC, de l’Indian Overseas Bank et de leurs hedge funds. Faute de circuits de distribution et après l’écroulement des commandes étrangères (africaines en particulier), la crise agricole est spectaculaire et l’industrie sinistrée.
Aux États-Unis, le mouvement Destroy Wall Street a tenté d’incendier la Bourse de New York, après que la manifestation contre le chômage a dégénéré. Dans les larges avenues, seuls de rares véhicules circulent, leurs heureux propriétaires ayant réussi à obtenir quelques litres d’essence ou à faire recharger leurs batteries aux dernières stations fuel-élec ouvertes. Qui aurait dit qu’il faudrait organiser l’alimentation de centaines de millions d’Américains, distribuer des vêtements, des couvertures, équiper à la hâte les mairies et les églises pour loger les millions de sans-abri, et ce malgré l’interruption des expulsions votée par le Congrès et la réquisition des logements inoccupés dans les plus grandes villes ? En deux ans, le PIB américain a chuté de 45 %, le taux de chômage a atteint 38 %, près de 55 % pour les moins de 25 ans.
L’Europe n’est guère mieux lotie, après l’échec de la grève générale en Italie et en France et des manifestations contre la baisse autoritaire des salaires et des retraites de 25 %. La violence de la crise financière y a imposé un moratoire sur l’ensemble des créances. Poussé par des manifestations xénophobes, le gouvernement hongrois a demandé l’édification d’un mur électrifié le long des frontières. Le parti Pour une Europe libre exige une dénaturalisation des « immigrés » révoquant la citoyenneté acquise postérieurement à 2014.
Avec l’effondrement des échanges mondiaux qui assuraient la quasi-totalité de son approvisionnement alimentaire, l’Afrique connaît une famine d’ampleur séculaire. La sous-nutrition massive atteint 200 millions de personnes. Malgré le réchauffement climatique qui avait imposé le recours aux importations massives de blé russe et de riz chinois, le continent avait connu une décennie de croissance industrielle au prix, il est vrai, d’importants dégâts écologiques. Il est revenu trente ans en arrière.
Comment en est-on arrivé là ?
Le premier sceau. Qui pouvait l’imaginer lorsque, après la crise des années 2008-2015, le monde bénéficiait d’une expansion à plus de 4 % par an, la plus longue période de croissance jamais connue ? L’expansion était tirée par la consommation chinoise et indienne, après le « secular switching » de 2014 qui avait assuré le passage d’une économie centrée sur l’exportation industrielle vers le marché intérieur. Certes les inégalités avaient continué de croître, là comme ailleurs, mais le salaire moyen à Guangzhou était équivalent à celui de Milan, à peine 15 % inférieur à celui de Singapour ou de Chicago. L’Amérique du Sud, le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord avaient servi de relais industriels aux sociétés chinoises. Les États-Unis qui, après l’Europe, avaient pratiquement terminé leur « mutation désindustrielle », bénéficiaient du dynamisme des conglomérats transnationaux du GlobalWeb et de la finance hors banque. L’Europe avait même réussi son extension à la Turquie et à l’Ukraine, à conforter sa zone monétaire. Berlin, siège du gouvernement économique européen, imposait la discipline budgétaire, au prix il est vrai d’une croissance modeste. Le commerce mondial avait décuplé et les flux de capitaux, gérés par la place de Hong Kong/Shanghai et ses relais new-yorkais et londonien, avaient été multipliés par vingt.