Des bébés chez le psy

La psychanalyse est une cure de parole, qui ne semble donc 
pas concerner les bébés. Certains pédopsys se penchent pourtant 
sur les berceaux des tout-petits, proposant des consultations 
et même des thérapies pour des bébés. De quoi s’agit-il ?

“Un bébé ça n’existe pas ! », affirmait Donald W. Winnicott, le grand pédiatre et psychanalyste anglais, selon une formule paradoxale et provocatrice. Mais il précisait : « Un bébé, ça n’existe que dans les bras de sa mère ». Winnicott élabore ainsi le concept de « holding » qui combine le portage physique du bébé et le portage psychique, la façon avec laquelle le bébé est investi dans la tête de sa mère. Un des éléments majeurs de la thérapie des bébés est dès lors souligné : la conjugaison d’aspects somatiques, corporels, posturaux, voire comportementaux propres au jeune enfant dénué de langage, et d’aspects psychiques, fantasmatiques, inconscients, qui viennent qualifier la triade père-mère-enfant.

Quand on parle de thérapie, voire de psychanalyse du bébé, on parle donc de thérapie conjointe qui associe la mère, ou mieux les parents. La présence du père est à la fois justifiée et, dans la pratique, assez peu fréquente. « Les pères sont les grands absents, explique Jean Michel, psychologue au Centre de périnatalité de Colombes. Ils sont les bienvenus mais sont rarement présents. Lorsqu’ils viennent, on cherche à leur donner leur place de tiers, ce qui contribue souvent à améliorer les choses. »

Le cadre est donc loin de celui de la cure individuelle type, divan-fauteuil. Le psy est bien là, mais il n’est pas rare de le voir gazouiller au-dessus d’un bébé qui est par ailleurs « parlé » par sa mère. Le psychanalyste est face à un exercice bien particulier. Ses capacités identificatoires et son empathie avec les ressentis et les vécus du bébé sont hautement sollicitées, et il doit, en parallèle, conserver une écoute bienveillante au discours de parents souvent très atteints narcissiquement par les difficultés qu’ils éprouvent dans la rencontre avec leur enfant.

Le mythe du bébé parfait

Car l’arrivée d’un enfant ne correspond pas toujours à l’image d’Épinal qui lui est associée. À l’exaltation narcissique de la grossesse peut succéder une déception relationnelle qui met la culpabilité maternelle au premier plan. Il est vrai que le bébé possède tout un arsenal de moyens pour déboussoler de jeunes parents. Refus de prendre le sein ou le biberon, reflux, régurgitations, tétées infinies, maux de ventre, diarrhées, pleurs incessants, endormissements difficiles, nuits hachées, rythmes imprévisibles : les premières semaines, les premiers mois sont souvent chaotiques. Ces difficultés sont courantes, normales et en général transitoires. Mais dans la société occidentale urbaine, un véritable phénomène de société en accentue le poids : les jeunes mères sont bien souvent isolées et le tête-à-tête quotidien avec un bébé n’est pas chose facile. Tous les bébés ne se ressemblent pas. Certains sont faciles à satisfaire et d’autres, beaucoup plus difficiles, exigent de leur mère qu’elle apprenne à les comprendre. « Si je suggère à la mère “Peut-être que votre bébé ne vous aide pas à ce que vous le compreniez ?”, je mets le bébé au centre, je fais baisser la culpabilité », déclare Jean Michel. Chaque bébé possède son style interactif, et en fonction de la souplesse et de la bonne santé psychique de la mère une spirale interactionelle vertueuse ou vicieuse se mettra en place.