Des frontières dessinées avec une règle et un crayon

Pendant la Première Guerre mondiale, alors que le monde est plongé dans le chaos, deux hommes règlent le sort du Moyen-Orient, à l’aide d’un simple crayon à papier… Un choix qui porte en germe de lourdes conséquences.

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Nous sommes fin 1914. Depuis plusieurs mois, la déflagration de la Première Guerre mondiale a ébranlé le monde. Et déjà, le conflit s’enlise sur le front occidental. Les Britanniques envisagent d’ouvrir un nouveau front au sud-est de l’Europe contre l’Empire ottoman, qu’ils pensent pouvoir battre facilement. Voilà qui permettrait aussi d’y attirer les troupes allemandes. Français et Britanniques auraient alors les mains libres pour lancer l’offensive finale à l’ouest et voler vers la victoire. Le plan est simple et efficace – tout au moins sur le papier…

Concrètement, le projet britannique consiste en une double approche : une attaque contre le détroit des Dardanelles (situé à proximité la capitale de l’empire ottomane) et une autre contre le port en eaux profondes d’Alexandrette. Mais les Français s’y opposent. La France craint en effet – à juste titre – que les Britanniques n’en profitent pour s’approprier définitivement ce port, le seul en eau profonde de la région, idéal pour qui veut monter une offensive contre le canal de Suez. Le débarquement allié se fait donc plus au nord, à Gallipoli (actuelle Gelipolu turque). Il se révèle un échec cuisant pour les Alliés. Qui plus est, il contribue à réveiller de vieilles rivalités entre les deux puissances…

Rivalités franco-britanniques

Depuis l’époque napoléonienne, la France et la Grande-Bretagne se disputent le contrôle de l’Égypte. Pour les Britanniques, la région est une étape clé sur la route des Indes. Pour les Français, il s’agit de reprendre pied au Levant, où la France est restée influente depuis l’époque des Croisades, dirigeant notamment les meilleures écoles de l’Empire ottoman. La France estime que le contrôle du Levant lui permettra de dominer Damas, centre de la pensée musulmane, ce qui faciliterait l’administration de l’Afrique du Nord.

Anticipant une victoire rapide sur les Ottomans, les Britanniques établissent une commission pour réfléchir à l’avenir du Moyen-Orient. Ils redoutent en effet qu’à la faveur de la chute de l’Empire ottoman, une grande puissance européenne ne vienne s’installer dans la région, ce qui ferait barrage entre la Grande-Bretagne et son empire indien. Le plus jeune et le plus actif des membres de la commission est un parlementaire conservateur âgé de 36 ans, qui répond au nom de Mark Sykes. Alors que ses collègues envisagent de transformer les provinces ottomanes en États semi-autonomes sous influence britannique, Sykes défend, avec succès, un autre projet : il estime plus utile de créer au Moyen-Orient une ceinture d’États directement contrôlés par la Grande-Bretagne.

Durant l’été 1915, Sykes part chercher en Inde le soutien du gouvernement britannique local. De retour, lors d’une étape au Caire, il évoque son projet devant les diplomates français. Inquiets, ceux-ci envoient immédiatement un télégramme au Quai d’Orsay. Or ce message est intercepté par un diplomate, François Georges-Picot, issu d’une famille de tradition colonialiste. Georges-Picot obtient de se faire envoyer à Londres. Là, les discussions avec les Britanniques virent rapidement au vinaigre : ces derniers sont forcés d’admettre qu’ils ont secrètement promis aux Arabes les territoires sur lesquels la France a des vues. Mais Georges-Picot parvient à jouer intelligemment de la situation politique en rappelant que le moment n’est pas adéquat pour venir fragiliser l’Entente cordiale entre Paris et Londres.