S ur You Tube, un gynécologue affirme que la non résolution du complexe d’Œdipe peut, à l’âge adulte, provoquer des conflits conjugaux. Sur d’innombrables forums, des parents se disent dépassés par le complexe d’Œdipe de leur enfant et demandent conseil à la communauté pour mieux accompagner cette phase délicate de leur développement. Du côté des illustrateurs, l’inspiration est débordante. On peut voir un bébé en couche-culotte manipuler un cube sur le sol et hurler à son père (qui est en train d’embrasser sa mère) « Hey ! Touche pas à ma femme ! » Nombre de sites internet grand public ou professionnels (adressés aux acteurs du paramédical ou de l’enfance) traitent sans complexe de cette théorie œdipienne, en en exposant les principaux rouages. Comme le souligne l’historien Mariano Ben Plotkin 1 « quiconque, en société, dans une grande ville d’Argentine, oserait mettre en doute l’existence de l’inconscient ou du complexe d’Œdipe se trouverait dans la même position que s’il niait la virginité de la Vierge Marie face à un synode d’évêques catholiques ».
Face à ce tourbillon de popularité, un retour aux sources s’impose : comment est née la théorie du complexe d’Œdipe ?
Tu auras envie de coucher avec ta maman et de tuer ton papa
L’aventure commence dans les années 1900. Sigmund Freud théorise le développement sexuel des enfants (pour la plupart des gens de l’époque, les enfants avaient deux jambes et deux bras mais pas de sexualité). Le 3 octobre 1897, Freud raconte à Wilhelm Fliess, un de ses amis proches, avoir ressenti une excitation sexuelle quand il avait vu sa maman nue à l’occasion d’un voyage à Vienne, alors qu’il avait 2 ans ou 2 ans et demi. Mais voilà que 11 jours plus tard, le 14 octobre 1897, dans un nouveau courrier à Fliess, Freud revient sur cette anecdote et généralise son ressenti à l’ensemble des petits enfants : « J’ai trouvé le sentiment amoureux pour la mère et la jalousie envers le père, et je les considère maintenant comme un événement général de la prime enfance ». (2) 2
Sur la base d’une expérience personnelle, Freud élabore une théorie universelle commune à l’ensemble des êtres humains. Treize années lui seront nécessaires pour dénommer ce qu’il pense avoir découvert : le complexe d’Œdipe. Sachant que la forme complète de ce concept ne sera décrite qu’en 1923 3. Mais que dit exactement cette théorie ?
Il est intéressant de constater que la version populaire du complexe d’Œdipe est assez éloignée de la version freudienne. Pour le grand public mais également pour nombre de professionnels de l’enfance – psychologues, pédiatres, psychiatres, pédopsychiatres, éducateurs de jeunes enfants… – le complexe d’Œdipe se résume à une affection toute particulière de l’enfant pour le parent du sexe opposé. C’est, par exemple, le cas du petit garçon qui veut être l’amoureux de sa maman ou de la petite fille qui souhaite se marier avec son papa. Trop mignon !
En réalité, dans la tête de la Freud, le tableau était moins poétique : le petit garçon désire avoir des rapports sexuels avec sa maman et la « posséder corporellement ». Pour ce faire, il va chercher à la séduire en lui montrant son petit zizi dont il est tout fier. Quant à papa, ce rival aux superpouvoirs sexuels, le petit garçon espère bien le zigouiller pour prendre sa place. Qu’en est-il de la fillette, dépourvue de phallus ? L’Œdipe de la fille n’est pas symétrique de celui du garçon. Elle aussi, elle aime sa mère. Enfin, au début. Rapidement, elle est déçue d’apprendre que sa mère n’a pas de pénis (décidément, il n’y en a que pour lui), la fille est tentée de voler celui de son papa et tourne alors le dos à sa maman (sans phallus, cette vieille chouette n’a plus trop d’intérêt). Pendant longtemps, très longtemps, la fille devenue femme souffrira alors de ne pas être un homme.