Donner un sens à sa maladie

Tomber malade est bien souvent une expérience qui nous confronte à l’absurdité. Paradoxalement, c’est aussi parfois l’occasion de donner un sens (nouveau ?) à son existence…

«Je vois que beaucoup de gens meurent parce qu’ils estiment que la vie ne vaut pas la peine d’être vécue. J’en vois d’autres qui se font paradoxalement tuer pour les idées ou les illusions qui leur donnent une raison de vivre (…). Je juge donc que le sens de la vie est la plus pressante des questions », écrivait Albert Camus en 1942, dans Le Mythe de Sisyphe. C’est aussi l’une des citations qu’a choisie Jacques Lecomte, psychologue, chargé de cours à l’université Paris-X Nanterre, dans son livre Donner un sens à sa vie. Donner un sens à sa vie ? La formule serait digne de figurer dans un livre de développement personnel vendu en supermarché… Et pourtant elle est très sérieuse. Un courant en particulier met en avant l’importance du sens donné à l’existence : la logothérapie, du grec ancien « logos » (qui renvoie à la « raison »). Elle a été fondée à l’après-guerre par le psychiatre autrichien Viktor Frankl, ancien concentrationnaire (voir encadré). Le but de cette thérapie, que Frankl présentait comme une troisième voie à la psychanalyse et la psychologie comportementaliste, est de responsabiliser les patients en les aidant à donner, ou redonner, un sens à leur vie, et notamment à partir d’une expérience douloureuse. Le psychologue humaniste américain, Abraham Maslow disait d’ailleurs : « On pourrait dire que Freud a découvert la psychologie pathologique et qu’il reste maintenant à faire la psychologie de la santé. »

Une vie pleine de sens, signe de santé ? C’est en tout cas une voie qu’explore Jacques Lecomte dans son ouvrage… Plusieurs études ont, en effet, montré que le bonheur nécessiterait à la fois une bonne santé mentale et physique, mais aussi une vie… « riche de sens ». « Et si l’accumulation de plaisirs, l’hédonisme, ne suffit pas au bonheur, le sens, seul, ne suffit pas non plus… »

Mais qu’entendre par « sens » ? Jacques Lecomte renvoie notamment à deux concepts fondamentaux : la « signification », qui inclut l’intentionnalité ou le fait de donner une direction à sa vie, ou encore celui éponyme de « sens » qui implique une cohérence dans l’existence, ou encore une « compréhension de soi, du monde, et du soi dans le monde ». Une question très philosophique. Existentielle même, et évolutive. Pour ne pas dire fragile.

La maladie un non-sens… en soi

Selon le professeur de psychologie sociale, Gustave-Nicolas Fischer, qui travaille avec des patients cancéreux, « le sens de la vie, de manière globale, est une illusion fondamentale, qui nous fait cultiver notre propre sentiment d’immortalité ». « Il renvoie à un état psychique face à la vie qui va se traduire à travers les sentiments de confiance et de croyance qu’elle vaut vraiment la peine d’être vécue, et à une capacité d’accepter ce qui va nous arriver. Or, l’épreuve de la maladie nous fait non seulement comprendre que notre temps est limité, mais fait aussi voler en éclat le sens sur lequel reposent habituellement nos vies. La maladie est précisément la mise à l’épreuve du sens que nous avons donné à notre vie. » Une véritable expérience du « chaos ». D’où la nécessité, dans ce cas de figure, de faire évoluer les raisons qui ont fait vivre le patient jusqu’à l’arrivée de la maladie. « On rentre alors dans une expérience de fragilité, de transformation parfois de sa propre image du fait de cette maladie, et où l’on apprend à vivre avec d’autres valeurs, et à développer un autre sens existentiel à son existence : apprendre à apprécier les choses les plus simples, les gestes quotidiens, s’arrêter pour contempler ce qui est anodin… »