Écrits, 1966 Jacques Lacan (1901-1981)

«Le style est l’homme même. » La phrase de Buffon ouvre l’imposant recueil d’articles et allocutions que forment les Écrits de Jacques Lacan. Elle est emblématique de l’œuvre du psychanalyste, qui aime à jouer du langage en rhéteur. Essentiellement orale, l’œuvre de Lacan est constituée de la somme de ses séminaires, dont la publication est toujours en cours. Les Écrits font donc exception. Avant 1966, les travaux de Lacan demeurent peu accessibles hors du cadre restreint du milieu psychanalytique. Ce recueil profitera de la vague structuraliste (Les Mots et les Choses, de Michel Foucault, paraît peu de temps auparavant) et rencontrera un certain succès public pour un ouvrage présentant une telle difficulté de lecture. La lecture de Lacan peut en effet être ardue pour qui n’est pas initié, et demande souvent plusieurs relectures, notamment parce que le psychanalyste français ne cesse de remanier les concepts qu’il a élaborés. Avant d’être psychanalyste, Lacan était psychiatre. Au Congrès international de Marienbad en 1936, il prononce une allocution sur le « stade du miroir » : il fait ainsi son entrée dans la théorie psychanalytique. Lors de cette intervention, il est interrompu avant la fin, anecdote symptomatique des rapports qu’il entretint avec le milieu analytique de son temps, notamment avec la puissante API, l’Association psychanalytique internationale, fondée du vivant de Sigmund Freud, dont il sera exclu. Le texte inaugural du stade du miroir fut perdu, et la version qui nous est parvenue à travers les Écrits date de 1949. Mis en évidence par le psychologue Henri Wallon, ce stade correspond au moment où le jeune enfant perçoit enfin son corps dans sa totalité. Instant jubilatoire donc, mais aussi fondement d’une identification à l’image qui peut se révéler aliénante. Lacan introduit dès lors une distinction fondamentale entre le « moi » et le « sujet ». Pour lui, le moi est l’instance qui ressortit à l’imaginaire, sur laquelle se fonde alors la psychanalyse américaine (l’Ego psychology), tandis que le sujet se fonde dans la parole, et appartient ainsi au champ du langage. Un champ que Lacan définira plus tard par le « symbolique ». Si le stade du miroir introduit l’imaginaire, la pensée lacanienne est marquée, à partir des années 1950, par une prévalence du symbolique sur celui-ci. Lacan, homme de l’oral, place la parole au centre de ses développements théoriques. L’année 1953 marque « le retour à Freud ». A cette période, peu de textes sont traduits en français – l’œuvre complète de Freud est toujours en cours de traduction. Lacan invite alors les participants à son séminaire à une réévaluation – lecture et interprétation – de l’œuvre de l’inventeur de la psychanalyse. Ce retour au texte freudien peut être considéré comme l’un des apports majeurs de Lacan. Si son livre s’inscrit dans un désir de transmission, Lacan, à la fin de son texte d’ouverture, en appelle à l’effort de son futur lecteur : il souhaite l’amener « à une conséquence où il lui faille mettre du sien » !