Créée en 1946 pour mener la bataille de la production au service de la Nation et de l'État, EDF-GDF doit désormais mener la bataille de la concurrence au sein d'un espace économique international. Cette adaptation au marché passe par la construction d'un nouveau compromis social, qui s'exprime sur plusieurs registres : améliorer les services à la clientèle, changer la gestion des ressources humaines (en passant d'une logique de corps à une logique de compétences), transformer les relations professionnelles.
Cet ouvrage collectif analyse les modalités, mais aussi les difficultés de cette mutation d'un géant. Selon les auteurs, les salariés d'EDF ont intégré qu'ils travaillent dans une entreprise de services, que le client a remplacé l'usager, et qu'il est important de le satisfaire. Mais cette appréciation globale ne doit pas masquer les disparités d'attitude selon les générations et surtout les métiers. Nelly Mauchamp montre ainsi comment les modèles professionnels se reconfigurent, créant ici et là des situations sensibles : survalorisation des activités commerciales, émergence de « techniciens gestionnaires », malaise des techniciens « traditionnels ».
À l'heure de la controverse sur les 35 heures, on suivra tout particulièrement la dernière partie du livre, qui étudie en détail comment s'est appliqué l'accord EDF-GDF de 1997 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT). Pierre-Noël Denieuil observe comment les salariés se comportent, choisissent tel ou tel aménagement de leur temps. Ainsi les cadres découvrent à cette occasion qu'ils travaillent plus qu'ils ne devraient ; mais en même temps, l'ARTT les culpabilise, car ils ont un sentiment d'abandon de responsabilité. L'ARTT est vue en revanche comme une opportunité par des gens « fatigués » qui estiment avoir beaucoup donné, et qui peuvent en profiter pour se consacrer à d'autres activités : loisirs, sports, bénévolat. L'entreprise EDF-GDF, « grande famille homogène qui organisait elle-même les loisirs de ses personnels », s'estomperait-elle au profit d'un modèle individualiste ? Pour l'auteur, cette hypothèse est tempérée par la persistance d'une forte culture d'entreprise chez les agents EDF.