Julia Cagé
Économiste, elle est spécialiste d’économie politique et d’histoire économique. Elle est l’auteure, entre autres, de Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie (Seuil, 2015), L’Information à tout prix (Ina, 2017) ou Libres et égaux en voix (Fayard, 2020).
Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au financement de la vie politique ?
En 2015, quand j’ai publié Sauver les médias, j’ai défendu la thèse selon laquelle il fallait beaucoup mieux encadrer l’actionnariat des médias, parce que les posséder donnait un poids politique disproportionné à une poignée de personnes fortunées. Au cours de mes recherches, je me suis aperçue que cette influence disproportionnée des plus riches sur le débat démocratique, loin d’être cantonnée au secteur de la presse, se retrouve également dans le financement des partis et des campagnes politiques.
J’ai donc commencé à collecter des données sur la France : qui donne, combien et à qui ? Puis j’ai élargi mon analyse à d’autres pays pour mettre en lumière l’influence de l’argent privé sur nos démocraties.
On est d’ailleurs frappé, en lisant votre livre, par la diversité des modes de financement de la vie politique dans les démocraties occidentales. D’un pays à l’autre, les règles changent du tout au tout…
Elles varient non seulement d’un pays à l’autre, mais également dans le temps. En menant cette enquête, j’ai découvert par exemple que les États-Unis, qu’on se figure aujourd’hui (à raison !) comme l’exemple à ne pas suivre en la matière tant les dépenses électorales atteignent des sommets, étaient dans les années 1970 à la pointe sur ces questions de régulation et de financement public de la vie politique. J’ai aussi été assez étonnée de découvrir le cas allemand, dont on ne parle jamais : l’Allemagne finance très généreusement ses partis politiques avec de l’argent public mais, paradoxalement, n’impose également aucune limitation aux dons privés. Il est intéressant, à ce titre, de mettre en parallèle le fait que le cigarettier Philip Morris donne des centaines de milliers d’euros aux partis politiques allemands, et que l’Allemagne est à ce jour le seul pays d’Europe avec la Bulgarie à encore autoriser la publicité pour le tabac. En France, notre système est plus équilibré et réussit à combiner régulation des dépenses, plafonnement des dons et financement public ; et pourtant, même en France, les dons privés sont tels qu’une poignée d’individus aisés capturent pour partie le jeu politique.
Concrètement, depuis 1988, la France a mis en place de nombreuses lois pour encadrer le financement politique. Les dons ne peuvent aujourd’hui provenir que de personnes physiques ; ils sont plafonnés à 7 500 euros par an et par individu pour les partis politiques, et à 4 600 euros par élection.