Quelle conséquence la recherche par les entreprises d'une plus grande flexibilité a-t-elle sur les compétences professionnelles ? S'accompagne-t-elle d'une plus grande polyvalence
des employés et donc d'une professionnalisation accrue, comme certains le pensent, ou au contraire d'un renforcement de
la conception taylorienne
du travail, fondée sur une parcellisation des tâches ? C'est ce que le sociologue Daniel Mercure et Annette Dubé, du ministère québécois de l'Emploi et de la Solidarité, ont voulu savoir à partir d'une vaste enquête auprès des entreprises de quatre grands secteurs industriels (textile, habillement, pâte et papier, pétrochimie). Les questions ont notamment cherché
à évaluer la manière dont avaient évolué dans les années 80-90 les compétences requises
du personnel, ainsi que les profils des personnes recrutées par les entreprises. En première approche,
les résultats de l'enquête montrent que « l'accroissement de la flexibilité dans les entreprises étudiées (n'a pas été) synonyme d'une réduction des écarts de qualification entre les travailleurs qualifiés et ceux semi-qualifiés ou manoeuvres ». En examinant ensuite les résultats en fonction du secteur industriel, les chercheurs dégagent l'existence de trois modèles de qualification flexible :
- le modèle de type professionnel-conceptuel, reposant sur une forte capacité d'abstraction et soumis à de grandes exigences de flexibilité (caractéristique des secteurs de la pétrochimie et des pâtes et papiers) ;
- le modèle de type taylorien, fondé sur l'expérience et l'intensité du travail manuel (secteurs textiles et de l'habillement) ; - le modèle de type adroit-analytique qui privilégie la polyvalence, la dextérité et une capacité analytique (soit le modèle le plus répandu dans les secteurs à technologie avancée ou à main-d'oeuvre qualifiée). En résumé, ces différents cas de figure attestent des effets combinés de la flexibilité : selon le secteur et les catégories d'emplois considérés, celle-ci peut se traduire à la fois par une élévation
des qualifications et le maintien de formes taylorisées de travail. Reste à savoir si cette enquête (réalisée au Québec), aboutirait aux mêmes résultats dans un autre pays industrialisé.
Références
A. Dubé et D. Mercure, « Les nouveaux modèles de qualification sur la flexibilité. Entre la professionnalisation et la taylorisation du travail », Relations industrielles, 1999, vol. 54, n° 1.