Enquête sur notre petite voix intérieure

Chacun d’entre nous a remarqué que la voix intérieure apparaît surtout dans des moments clés de forte charge émotionnelle ou de surcharge cognitive, à des moments où il faut "recadrer ses idées" et se concentrer sur des messages simples et clairs. Mais d’où vient-elle ? A quoi sert-elle ? Les psychologues ne manquent pas d’hypothèses pour expliquer sa présence. Et certains proposent de s’en servir aujourd’hui comme moyen de changement personnel.

A la petite agence bancaire de mon quartier, le guichet est souvent tenu par une employée très sympathique d’une cinquantaine d’année, madame H - qui a une particularité : elle pense tout haut.

Par exemple, je lui demande aujourd’hui de transférer de l’argent d’un compte vers un autre puis de retirer une somme en espèce. « Pas de problème », répond-elle en souriant. Puis, les yeux fixés sur son écran elle débute l’opération tout en se parlant à elle-même, comme si je n’étais plus là « Bon, voyons, pour Monsieur D., … Son compte ? (elle fronce les sourcils). D’accord. Voilà, c’est là. Donc, je transfert sur le compte commun la somme de … Voilà, c’est fait. Maintenant ? Ah oui, le retrait ».

A un moment, elle reprend contact avec le monde extérieur. Elle lève les yeux vers moi « Vous m’avez dit combien : 200 euros ? »

Puis elle replonge sur son écran et reprend : « Bon, un retrait de 200 euros sur le compte de … Et voilà ». Maintenant j’imprime le bordereau, une signature… Je range le bordereau comme cela, sur la pile. Voilà c’est fait ! … Bon, voyons maintenant… où est ce que j’en suis ? ».

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Madame H. a toujours l’air d’être débordée, même quand il n’y a que deux clients dans la file d’attente. Je l’imagine très anxieuse. Sa parole à voix haute lui sert peut-être à guider ses pensées et surmonter une sorte de grande agitation intérieure.

Tout le monde ne parle pas tout haut comme madame H. Mais il arrive à tous de se parler tout bas, et même de s’entendre parler à soi. L’autre jour, j’étais en train de faire la vaisselle tout en m’imaginant essayer de convaincre un ami avec qui j’avais eu une conversation agitée la veille. C’est à ce moment que je me suis surpris à murmurer : j’ai entendu la « petite voix intérieure.

D’où vient donc cette petite voix ? Et à qui s’adresse-t-elle ? Comment expliquer que l’on éprouve le besoin de se parler à soi-même ?

On lui a donné au fil du temps des noms divers : « monologue intérieur » « langage privé », « parole interne », « voix intérieure ». Dans les pays anglo-saxons, on parle de « self talk », « inner speech », ou « inner voice », « internal monologue » ou même « d’intrapersonal communication ». Les philosophes et psychologues s’y intéressent depuis très longtemps. Allons voir ce qu’ils nous en disent.

La parole intérieure des philosophes.

La « petite voix de l’intérieur » a d’abord intrigué les philosophes. Dès l’Antiquité, Platon décrit les pensées intérieures comme un « dialogue de l’âme avec elle-même ». Dans le Théétète, Platon donne cette définition de la pensée : « Qu’est-ce que tu appelles penser ? demande Théétète ? Socrate lui répond : « C’est une discussion que l’âme elle-même poursuit tout du long avec elle-même à propos des choses qu’il lui arrive d’examiner. (…) Car voici ce que me semble faire l’âme quand elle pense : rien d’autre que dialoguer, s’interrogeant elle-même et répondant, affirmant et niant. (…) Avoir des opinions, j’appelle cela parler, et l’opinion, je l’appelle un langage, prononcé, non pas bien sûr à l’intention d’autrui ni par la voix, mais en silence à soi-même. ».(1)

Par la suite, les philosophes stoïciens ont accordé un grande importe à cette délibération intérieure : quand on soupèse le pour et le contre, quand on se donne à soi-même des conseils avant d’entreprendre une action. C’est une voix intérieure qui s’exprime par devers soi. Plus tard encore, au Moyen âge, les penseurs médiévaux, qui ont par ailleurs inventé la notion de « for intérieur », vont lui accorder le statut de « discours mental ». Ce discours mental prend place à côté des deux autres formes de discours : l’oral et l’écrit.(2)