En vingt ans, on est passé de 4 publications d’imagerie fonctionnelle par an à 8 par jour. Parallèlement, les scientifiques comme les médias ont succombé à ce que certains qualifient de « neurophilie ». Or, selon vous, cet engouement ne rend pas forcément service à la discipline. Pourquoi ?
Les images du cerveau sont des cartes statistiques, elles ne témoignent pas complètement de son activité. Elles sont reconstruites à partir d’un nombre important de paramètres, notamment des seuils statistiques retenus ou de différents filtrages du signal. Ce que l’on voit, c’est une variation de l’activité métabolique, comme la consommation énergétique en oxygène du cerveau dans une situation donnée. Or, dans les médias et auprès du public, l’image semble faire preuve, alors même qu’on ne connaît pas les paramètres de sa construction. Cela fait de beaux titres, des scoops : par exemple, on aurait trouvé dans le cerveau pourquoi on vote plutôt pour les Démocrates ou les Républicains… Les résultats sont souvent surinterprétés, et au-delà du raisonnable. Cette fascination pour l’imagerie cérébrale concerne d’ailleurs les scientifiques eux-mêmes, qui prennent souvent acte d’une image cérébrale sans se demander comment elle a précisément été construite. Par exemple, une image n’affiche que ce qui dépasse une probabilité d’erreur de 1 %, ou 5 %, ou 1 pour 1000. Or on ne retrouve pas toujours les mêmes paramètres dans les diverses études. La comparaison entre les recherches devient difficile. Bien souvent, on ne dispose pas non plus des informations permettant la réplication des études, ce qui est pourtant un critère indispensable.
Vous parlez d’études floues, et pourtant validées par des équipes d’experts avant leur publication. Les chercheurs connaissent-ils et acceptent-ils les limites de l’imagerie ?
Oui, mais ils s’inscrivent aussi dans une logique de productivité et de rentabilité. La neuro-imagerie est très coûteuse. Si vous obtenez 3 millions d’euros pour un projet, vous avez une pression pour qu’il aboutisse. C’est un problème sociologique et politique : il faut produire et publier, car c’est sur ce bilan que les chercheurs sont évalués. Certains sont rigoureux sur la méthode et la validité de leurs recherches, tandis que d’autres ont moins de scrupules…