En quoi la publication du DSM-5 traduit-elle une crise de la classification psychiatrique actuelle ?
C’est qu’elle a été précédée d’une polémique qui a largement débordé des milieux médicaux, au point de se retrouver dans les grands quotidiens nationaux, ce qui est assez rare outre-Atlantique pour les questions de théorie en psychiatrie. Allen Frances, qui avait piloté le DSM-IV, était farouchement opposé à la nouvelle équipe chargée de rédiger le DSM-5. Certains arguments sont techniques. Il n’est pas sûr, par exemple, que l’approche « dimensionnelle » n’introduise pas plus de confusion que de clarté : celle-ci tient compte non pas de l’absence ou de la présence d’un trait classificatoire particulier (insomnie, hallucinations, etc.), mais quantifie son intensité (sur une échelle). D’autres arguments sont empiriques : la grande force des DSM était de reposer sur des études épidémiologiques multicentriques, avec des cohortes de patients souvent importantes. Du coup, les listes de critères incluses dans le manuel ne reposaient pas sur des idées préconçues de la « cohérence interne » de la maladie considérée, que cette cohérence soit psychologique ou neurobiologique, mais sur le fait brut des associations de symptômes les plus fréquentes. Par exemple, si l’on parlait de « troubles obsessionnels compulsifs » dans le DSM-III, c’est parce que la vaste majorité des gens recensés qui avaient des obsessions avaient aussi des compulsions. C’est dans un second temps qu’on pourra se demander si les compulsions sont une « réponse » aux obsessions, alors que dans les conceptions pré-DSM des obsessions-compulsions, il allait de soi que la chose à expliquer, c’était le lien entre les deux. On a donc été bien étonné de découvrir combien les gens qui n’ont que des obsessions ou que des compulsions sont nombreux. L’épidémiologie tempère et limite les spéculations cliniques. Or il semble bien que la qualité des études épidémiologiques qui servent de toile de fond au DSM-5 ne soit pas à la hauteur, ce qui, dans cette conception de la clinique, empirique, factuelle, est bien ennuyeux.