Entretien avec Sylvain Laurens - Menaces sur le droit d'enquêter

Qu’est-ce qui vous a amené à organiser ce colloque ?

Au départ, Il y a une pratique de recherches. J’ai travaillé sur des hauts fonctionnaires. Lors des entretiens, ils reproduisaient le type d’interactions qu’ils peuvent avoir avec des journalistes : ils me disaient certaines choses en précisant que « vous n’êtes pas forcément obligé de le mettre dans votre thèse... » . Fallait-il exploiter ces informations ou pas ? Jusqu’où aller ? La question se posait d’autant plus que ces hauts fonctionnaires pouvaient facilement saisir un avocat et porter plainte. Lors du colloque d’autres chercheurs ont témoigné de toutes les questions éthiques et/ou juridiques qui se posent sur le terrain. Sébastien Roux, qui travaille sur la prostitution en Thaïlande, a enquêté dans une ONG très connue, qui a pignon sur rue. Dans ce cas, quel sens a l’obligation souvent formulée de respecter l’anonymat des personnes ? Les gens ne vont-ils pas se reconnaître de toute façon ? Que faire alors ?
Au-delà de ça, plusieurs affaires récentes ont posé la question de l’existence d’un droit à enquêter. Alain Oriot, responsable des éditions du Croquant, a témoigné de la mésaventure qu’il a connu avec le sociologue Frédéric Chateigner. Ce dernier avait publié chez lui, un livre restituant son enquête sur des cercles d’écrivains amateurs. Un des enquêtés, pourtant anonymisé, s’est reconnu dans l’ouvrage, et a estimé que ce travail portait atteinte à sa vie privée. Il a saisi un avocat, qui a porté plainte auprès d’A. Oriot. L’ouvrage a été retiré de la vente (l’éditeur n’avait aucune chance de gagner un éventuel procès), puis a reparu sous un autre titre, expurgé des passages concernant la personne qui s’était reconnue.

D’autres chercheurs se sont eux retrouvés au tribunal. Les politistes Xavier Crettiez et Isabelle Sommier, qui ont dirigé La France rebelle , Yves Michalon, leur éditeur, et Juan Torreiro, qui avait rédigé la notice consacrée à la Confédération Savoisienne, ont été poursuivis par cette dernière. Ce mouvement savoisien y était décrit comme « partisan du recours à la violence », ce qu’il a jugé diffamatoire. Dans un premier temps, la justice lui a donné raison, et condamné les auteurs et l’éditeur à 5000 € d’amende chacun. Ils ont été relaxés en appel, non pas sur la base des preuves apportées par les chercheurs, mais parce que les faits étaient prescrits. Le problème reste donc entier : on ne sait pas si dire dans un ouvrage scientifique, preuves à l’appui, qu’un mouvement est partisan de la violence, relève ou non de la diffamation.