Sciences Humaines : Dans votre livre, vous critiquez l'usage selon vous abusif qui est fait de certaines notions de physique par des intellectuels de renom. En même temps, vous dénoncez l'approche relativiste qui serait celle de certains sociologues et historiens actuels. Qu'y a-t-il de commun entre ces auteurs ?
Alan Sokal : Le lien est d'abord sociologique. Il existe aux Etats-Unis un courant postmoderne très à la mode dans les départements de lettres et de sciences humaines des universités. Les auteurs que nous critiquons dans notre livre sont de ceux que lisent et citent les partisans du postmodernisme.
Le point de vue de ces derniers consiste, de manière générale, à remettre en cause l'idée que la science représente un savoir plus rationnel et plus objectif que n'importe quel autre type de connaissance.
Jean Bricmont : Aux Etats-Unis,
il est beaucoup question de dépasser
le rationalisme issu de la philosophie des Lumières. Nous ne sommes pas
les premiers à nous élever contre
les dérives du postmodernisme. Il y a eu, par exemple, un livre de Paul Gross
et Norman Levitt qui dénonçait
le développement d'une «superstition savante». On leur a reproché de ne citer que des auteurs mineurs. Nous avons donc jugé bon de faire porter nos critiques sur des maîtres à penser du courant postmoderniste. Beaucoup sont
des philosophes français, qui se sont exprimés il y a dix ou vingt ans.
Il est bien possible qu'en France
on ne lise pas Lacan ou Deleuze
comme le font les intellectuels américains. Mais le succès de la supercherie de mon ami Alan montre bien ce que signifient
ces philosophes pour les «cultural studies» d'outre-Atlantique.