Il est difficile d’aller plus loin qu’Épicure dans l’assimilation de la philosophie à un art de vivre : « Il faut rire et ensemble philosopher et user de toutes les autres choses qui nous sont propres, et ne jamais cesser de proclamer les maximes de la droite philosophie » (Sentences vaticanes). Le rire du philosophe est celui de l’homme libre, qui a su, avant tout, s’affranchir des troubles qui interdisent au commun des mortels le bonheur auquel ils aspirent pourtant à bon droit. La philosophie commence par une thérapie : « Vide est le discours du philosophe qui ne soigne aucune affection humaine. » Peur des dieux, de la mort, avidité anxieuse à l’égard de plaisirs que l’on pense illimités, crainte d’un infini possible de souffrances : tel est le tableau du malheur des hommes, alimenté par des opinions fausses qu’un juste raisonnement a le pouvoir de dissiper. Ainsi, une conception adéquate de la divinité nous prouvera qu’elle n’a aucun souci du monde et des hommes, une connaissance vraie de la mort montre qu’étant privation de sensibilité, elle ne peut être elle-même ressentie, donc qu’« elle n’est rien pour nous ». Quant à la limitation des plaisirs et des douleurs, elle est une donnée de la nature dont la connaissance, on le verra, assure au bonheur du sage son invulnérabilité.
La physique, socle de l’éthique
Car la liberté souveraine, celle « des hommes fiers et indépendants, s’enorgueillissant de leurs biens propres, non de ceux qui viennent des circonstances », repose sur la certitude d’être inaccessible au trouble. En tant qu’elle sert à garantir cette certitude, la physique apparaît comme le socle même de l’entreprise éthique, l’étude assidue de la nature « assurant à la vie la parfaite sérénité » (Lettre à Hérodote). Qu’a « vu » Épicure, qui a réussi à plonger son regard dans l’imperceptible et comprendre ainsi la nature en son entier (Lucrèce) ? Une pluie infinie de particules matérielles minuscules, les atomes, en perpétuel mouvement dans un vide infini, qui constituent en se combinant par chocs aléatoires la totalité de ce que nous nommons la réalité.