Pourquoi ne retenons-nous aujourd’hui que la connotation péjorative de l’hystérie, « maladie de femme » par excellence alors même que l’affection semblait au XVIIIe siècle toucher autant les hommes que les femmes ?
Ce qui a fasciné dans l’hystérie depuis une cinquantaine d’années, c’est cette image d’une femme avide, non satisfaite sexuellement. Du côté des féministes, c’était le symbole de la femme étouffée, non écoutée. Mais ce que j’essaie justement de démontrer avec mon livre, c’est que cette affection n’a pas toujours été un diagnostic péjoratif. Entre 1670 et la Révolution française, c’était une maladie du roi, en France et en Angleterre. On aimait l’arborer à la Cour. On parlait plutôt à l’époque de « vapeurs », qui renvoyaient à une sensibilité et à une certaine classe sociale. Il ne faut pas oublier qu’au XVIIIe siècle la société met en avant la féminité, à travers des manières, une gestuelle, une esthétique fonctionnant comme signes d’éducation, et une disposition marquée aux émotions et aux transports de l’imagination. Au XVIIe siècle, où l’on parlait surtout de « suffocation de matrice » et de « maux de mère », nous nous trouvions dans un cadre religieux où il fallait aller au-delà du corps et de ses affections. Le corps, au XVIIIe siècle, prend une nouvelle valeur : on s’intéresse à ses manifestations physiologiques pour comprendre les relations qu’il entretient avec l’âme. Et l’on assiste alors à une création de catégories médicales. Auparavant, différents diagnostics ont longtemps coexisté : « suffocation de matrice », « vapeurs », « passion hystérique »… À partir de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, plusieurs médecins établissent des catégories en publiant des dictionnaires de médecine. C’est notamment le cas de François Boissier de Sauvages en France. Et lorsqu’il choisit le terme d’« hystérie », en 1763, il affirme, malgré l’étymologie (du grec « hystera », qui signifie « matrice » et renvoie à l’utérus, ndlr), qu’elle peut autant toucher les femmes que les hommes. L’image péjorative de l’hystérie se forme à la suite de la Révolution où l’on a assimilé l’hystérie à la femme.