Être « beurette », entre négociation et rupture

Comment les « beurettes » vivent-elles leur biculturalité ? Quels rapports entretiennent-elles avec leurs parents ? Quelles représentations se forgent-elles d'elles-mêmes ? La psychologue Sandrine Gaymard a étudié deux groupes de filles d'origine franco-maghrébines : des étudiantes (qui poursuivent des études supérieures) et des non-étudiantes. Après une étude par questionnaires et le passage de certains tests, S. Gaymard constate des différences entre les représentations des filles des deux groupes. Une seule valeur apparaît partagée : le rapport à la cigarette. Les filles déclarent unanimement et massivement ne pas fumer devant leurs parents, par respect. Il est vrai qu'elles attribuent à leurs parents des valeurs traditionnelles, beaucoup plus qu'elles ne s'en attribuent à elles-mêmes. Ce hiatus débouche-t-il sur des conflits intergénérationnels ? Ce n'est pas le cas chez les étudiantes, constate la psychologue car ces filles sont en négociation avec leurs parents et non pas en rupture, comme les filles du second groupe. Que se passe-t-il en fait ?

Les étudiantes déclarent respecter les principes fondamentaux de la religion musulmane même si elles se comportent à l'occidentale. Plus exactement, elles utilisent des « stratégies à bas bruit ». Par exemple, elles vivent avec leur petit ami mais ne le disent pas à leurs parents. Ce faisant, elles se comportent comme n'importe quelle autre étudiante tout en affirmant respecter leurs différences culturelles (religieuse, notamment). Elles se considèrent françaises et maghrébines.

Par contre, le groupe des non-étudiantes analysé par S. Gaymard rejette les principes religieux, adopte des comportements provocateurs (port de vêtements courts)... ce qui conduit au conflit parental et même à la rupture. Tout en se déclarant non-françaises, les non-étudiantes se considèrent comme « françaises de mentalité » et rejettent l'identité maghrébine. C'est donc paradoxalement que leur biculturalité est vécue douloureusement.