Tout écolier attentif apprend qu'un carré possède quatre angles droits et des côtés égaux, et c'est cette définition qui, pense-t-on, lui permettra tout au long de sa vie de décider si la place des Vosges, à Paris, est un carré ou non. Mais les Mundurucus, peuple d'Amazonie brésilienne, jusqu'il y a peu n'allaient pas du tout à l'école, n'entendent jamais parler de rectangles ni de triangles, ne se servent jamais de règles, ni de compas, ni de rapporteurs. Leur langue maternelle ne comporte d'ailleurs que peu de mots précis pour nommer ces figures, et l'usage de cartes ou de plans leur est à peu près inconnu. La quadrature de la place des Vosges devrait donc les laisser indifférents, sinon perplexes.
Pourtant les recherches menées par Stanislas Dehaene, Pierre Pica et leurs collaborateurs nous mènent sur une tout autre piste. Leurs résultats, publiés en janvier 2006, tirent les conclusions d'une enquête réalisée par P. Pica chez les Mundurucus, portant sur leur aptitude à discriminer visuellement des figures ou des notions géométriques telles qu'un carré, un triangle, un angle droit. Confrontés à une batterie de tests du genre « chassez l'intrus », les Mundurucus, enfants et adultes, différencient très bien une droite d'une courbe, deux parallèles de deux sécantes, un angle droit d'un angle aigu. Même chose, avec quelques faiblesses, pour les figures (carrés, rectangles, trapèzes, triangles, cercles). Leurs performances diminuent un peu lorsqu'on leur soumet des problèmes exigeant des mesures : tenir compte, par exemple, de distances entre des points. Elles périclitent nettement face à des opérations de transformation géométrique (translations, symétries par rapport à un point, etc.).