Exorciser les lieux qui nous hantent... Entretien avec Christine Ulivucci

Découvrir ou revisiter les endroits qui ont compté pour notre famille, tout au long de son histoire, ou pour nous-même : un tel voyage peut être déterminant pour notre cheminement intérieur.


> Christine Ulivucci

Psychanalyste et psychothérapeute, fondatrice de l’Atelier de recherche sur le transgénérationnel, elle a publié Ces photos qui nous parlent. Une relecture de la mémoire familiale (Payot, 2014) et Psychogénéalogie des lieux de vie. Ces lieux qui nous habitent (Payot, 2008, nouvelle éd. 2017)


Dans votre perspective transgénérationnelle, les lieux de vie peuvent exercer une influence sur un individu plusieurs générations plus tard. Comment est-ce possible ?

C’est plutôt le vécu dans ces lieux de vie qui va se transmettre. Le lieu d’habitation est une forme de seconde enveloppe, c’est-à-dire qu’on va y vivre certains événements, quelque chose de soi, et y projeter ce que l’on est ou souhaiterait être : ainsi travailler sur un lieu, c’est presque comme travailler sur soi, avec quelque chose de tangible devant les yeux. J’attache notamment beaucoup d’importance à la question du déplacement avec toutes les places que l’on prend, que l’on trouve ou que l’on nous impose. Il est important d’analyser cette cartographie de l’espace familial pour éclairer les trajectoires de vie de chacun. Chez qui on est, qui vit avec qui et comment, nous donne une image de ce qui se joue dans les familles. C’est très marqué dans la question des phobies d’enfermement, notamment : dans ce cas, le système familial était clos, et on a dû, par exemple, partager la chambre des parents jusqu’à un âge très avancé. Certains de mes patients n’ont jamais de chambre à eux, et ont dû en changer selon qui les acceptait dans la fratrie. C’est toute la question de la place dans la famille qui se pose alors.

Vous insistez sur les lieux liés aux états de vie : là où on est né, où on a rencontré des gens importants, où nos parents se sont rencontrés…

C’est pourquoi dans le travail thérapeutique tel que je l’entends, j’incite mes patients à retourner sur certains lieux. L’analyse invite à replonger dans le passé pour mieux s’en séparer, ne plus se sentir parasité par lui : or on peut aussi accomplir cette démarche en recontactant certains lieux marquants ou marqués de l’histoire familiale, pour y porter le regard distancié de l’adulte. Il y a certains lieux sur lesquels on n’ose pas revenir, comme s’ils constituaient encore une menace, comme si on pouvait y être encore piégé.

Dans les cas des migrations notamment, il en existe où l’on n’est jamais retourné, ce serait trop douloureux parce qu’on a dû les fuir ou qu’on en a été chassé : c’est souvent la deuxième ou troisième génération qui va recontacter ces lieux. Entre tous, c’est le lieu de naissance qu’il faudrait toujours privilégier dans nos réflexions : l’hôpital, la clinique, la maison… Qu’est-ce que ça vient dire au moment du travail thérapeutique, c’est-à-dire d’une seconde naissance ?