Extrait de l'ouvrage : Ces photos qui nous parlent - Une relecture de la mémoire familiale

« Les clichés de famille ont gardé en latence quelque chose d’un vécu 
qui n’est souvent réinterrogé qu’une ou deux générations plus tard 
par quelqu’un porteur du symptôme de cette histoire. »

L’image de la famille

La mine inépuisable des photos de famille comprend diverses captations d’événements et de rituels familiaux, mariages, anniversaires, fêtes, repas, vacances. Ces clichés rappellent des instants vécus et renforcent le souvenir collectif. Ils attestent d’une inscription au sein d’un groupe d’appartenance.

Tout d’abord très codifiées, réalisées dans le studio du photographe, les photos de famille ont évolué au fil du temps. Avec la démocratisation de l’appareil photo, elles sont devenues plus intimes, elles se sont ouvertes aux loisirs, ont pris en compte chaque membre de la famille de manière individualisée et se sont concentrées sur les enfants. Elles ont lentement glissé de l’affichage de la réussite à celui du bonheur. Aujourd’hui, avec le numérique, elles reflètent la vie familiale et sociale en continu.

Portraits de groupe et configuration familiale

Je vous propose maintenant de démarrer l’exploration du terreau familial et d’observer les photos trouvées dans les albums, les boîtes et les tiroirs, conservées au fond des sacs et exposées dans les maisons. Procédons à leur analyse minutieuse et, au-delà de ce que ces images indiquent, cherchons le hors-champ qui nous donnera accès à la mémoire familiale.

Les photos de famille nous mettent en effet sur la voie de pans d’histoire que l’on ne soupçonnait pas ou que l’on ne prenait pas en compte. Symptômes de l’histoire familiale, elles ont enregistré et gardé en latence quelque chose d’un vécu qui n’est souvent réinterrogé qu’une ou deux générations plus tard par quelqu’un lui-même porteur du symptôme de cette histoire. Même si l’on ne connaît pas tous les protagonistes, l’ambiance dégagée laisse entr’apercevoir ce qui s’est vécu. L’image devient alors parlante pour celui qui a besoin de comprendre ce qui fait obstacle dans sa propre vie. Telles des pièces à conviction énigmatiques ou identifiées, entreposées dans les sous-sols de la mémoire collective, ces photos a priori banales témoignent d’un événement spéci.que qui a eu lieu et se tiennent à la disposition des descendants enquêteurs jusqu’à ce que l’affaire familiale soit élucidée.

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Traces juxtaposées dans les albums ou entassées dans les tiroirs, elles attendent qu’on les interroge dans leur apparente simplicité et que l’on suive les méandres de leur réelle complexité. Les photos conservées, exposées, scénarisées constituent le corpus visible de la mémoire. Elles participent du rituel familial et cristallisent les fonctionnements et dysfonctionnements du groupe. Par-delà leur fonction de représentation sociale et de consignation des lignées, elles renferment et révèlent le mécanisme du collectif et le vécu de chacun de ses membres. En ouvrant la boîte à images, nous entrons dans la névrose ou la psychose présentes dans chaque famille.