Extrait de l'ouvrage : Dans le cerveau des autistes

« Je ne pouvais pas maintenir mes skis parallèles sans tomber parce que… Parce que je suis autiste ? Ou parce que j’ai un plus petit cervelet ? Les deux réponses sont correctes. Mais laquelle des deux est la plus utile ? »

CHAPITRE 5

Au-delà des étiquettes

J’observais Jack. Il avait 10 ans, et il n’avait pris que trois leçons de ski dans sa vie. J’étais au lycée et j’en prenais depuis trois ans. Malgré cela, il me dépassait sur la piste, je le voyais exécuter de magnifiques virages et négocier sans problème des sauts de plus d’un mètre de haut. Quant à moi, j’avais toujours du mal à exécuter un seul virage et à chaque fois que j’essayais de sauter je tombais, jusqu’à ce que je n’ose même plus essayer.

Jack était-il donc une exception ?

Non. L’exception, c’était moi, moi et mon autisme. Rétrospectivement, le rapport entre mon autisme et mes faibles performances sportives semble évident. Mais à l’époque je ne le voyais pas. Ce n’est que lorsque j’ai atteint la quarantaine et que l’imagerie cérébrale m’a permis de voir que mon cervelet – cette partie du cerveau qui commande la coordination motrice – était de 20 % plus petit que la normale que j’ai enfin pu additionner deux et deux. Tout était clair désormais !

Je ne pouvais pas maintenir mes skis parallèles sans tomber parce que… Parce que quoi ? Parce que je suis autiste ? Ou parce que j’ai un plus petit cervelet ?

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Les deux réponses sont correctes. Mais laquelle des deux est la plus utile ? Tout dépend de ce qu’on cherche à savoir. Si vous cherchez une dénomination, une étiquette qui vous permettra de comprendre qui je suis globalement, alors la réponse « parce que je suis autiste » est probablement suffisante. Mais si vous voulez savoir comment j’en suis arrivée à cet état particulier – si vous cherchez l’origine biologique du symptôme – alors la meilleure réponse est indéniablement « parce que j’ai un cervelet plus petit ».

La différence est importante. C’est la différence qui existe entre un diagnostic et une cause.

Les recherches que j’ai effectuées sur les sous-types de problèmes sensoriels pour le chapitre précédent m’ont amenée à réfléchir sur les limites des dénominations. Je me suis rendu compte que deux étiquettes différentes – hyporéactivité aux informations sensorielles et hyperréactivité aux informations sensorielles – pouvaient décrire le même vécu : trop d’informations ! Les étiquettes peuvent être utiles mais, comme dans l’exemple du ski, leur utilité dépend de ce qu’on cherche à savoir. Veut-on savoir à quoi ressemble tel comportement de l’extérieur ? Ou bien veut-on savoir comment la réalité est vécue de l’intérieur ? Cherche-t-on à décrire un ensemble de symptômes – à faire un diagnostic ? Ou bien cherche-t-on l’origine d’un symptôme particulier – autrement dit sa cause ?

Je vois sans arrêt des parents qui me disent : « Mon enfant a d’abord été diagnostiqué autiste de haut niveau. Et puis on nous a dit qu’il souffrait de TDAH. Et puis on nous a dit que c’était Asperger. Qu’est-ce qu’il est, en fait ? » Je comprends leur détresse. Ils sont à la merci d’un système médical qui ne fonctionne que sur des étiquettes. Mais les parents font eux aussi partie de ce système. Ils me demandent : « Quelle est la chose la plus importante à faire pour un enfant autiste ? » Ou : « Que dois-je faire avec un enfant qui fait des bêtises ? » Qu’est-ce que cela veut dire, faire des bêtises, pour commencer ?