Extrait de l'ouvrage : Enfances en guerre - Témoignages d'enfants sur la guerre

« Lorsqu’ils arrivent au château de la Guette, cela fait un à six ans que 
les enfants juifs subissent les persécutions antisémites du régime hitlérien, un à six ans que la guerre faite aux Juifs a débuté. 
Un à six ans dans la vie d’enfants ayant entre 8 et 15 ans... »

Le château de la Guette ou l’identité renégociée

Lorsque paraît, en 1991, l’ouvrage J’ai dessiné la guerre. Le dessin de l’enfant dans la guerre (1), figurent, parmi les dessins sélectionnés par Alfred Brauner (voir encadré p. 119), certains de ceux réalisés par les enfants juifs allemands et autrichiens réfugiés au château de la Guette [en Seine-et-Marne, n.d.l.r.] à partir du mois de mars 1939. Or, si les époux Brauner recommandaient aux visiteurs de leurs expositions de ne pas se laisser fasciner par les dessins figurant des scènes de grande violence, il semble bien que, parmi tous ceux réalisés au château de la Guette, aient été choisis seulement les dessins qui représentaient les persécutions antisémites subies par leurs auteurs lors de la Nuit de Cristal en novembre 1938.

Aucun de ceux représentant le quotidien de la République d’enfants instaurée au château de la Guette n’a donc été considéré comme « dessin d’enfant dans la guerre » par les Brauner. Or, ces dessins sont bien, aux yeux de l’historien, des dessins d’en­fants en temps de guerre. Effectivement, nous savons aujourd’hui que la vie dans les maisons d’enfants est constitutive de l’expérience enfantine juive de la Shoah en France. Donc, l’ensemble des dessins réalisés par les enfants juifs du château de la Guette sont bien des dessins de guerre, réalisés dans le temps même de cette guerre qu’Hitler avait déclarée aux Juifs. Cette guerre commence en mars 1933 pour les enfants juifs allemands et en mars 1938 pour les enfants juifs autrichiens.

Lorsqu’ils arrivent au château de la Guette, cela fait donc un à six ans que les enfants juifs subissent les persécutions antisémites du régime hitlérien, un à six ans que la guerre faite aux Juifs a débuté. Un à six ans dans la vie d’enfants ayant entre 8 et 15 ans. (…) Cela implique que les plus jeunes de ces enfants juifs allemands n’aient pas connu d’autre monde que celui où la présence des Juifs est intolérable et cons­titue un « problème ».

Par ailleurs, cette assignation identitaire dans laquelle ces enfants sont enferrés a entraîné leur exclusion, leur persécution, leur déracinement et la séparation d’avec leur famille. Les époux Brauner, comme nombre d’éducateurs des maisons d’en­fants juifs, considèrent le séjour à la Guette comme un moment de répit dans l’expé­rience de cette guerre livrée par Hitler aux enfants juifs. Pour eux, comme pour le reste de l’équipe éducative, ce séjour doit être mis à profit pour préparer l’intégration de ces enfants juifs en France.

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(…) Six mois après leur arrivée à la Guette, la France, leur pays d’accueil, entre en guerre avec l’Allemagne, leur pays d’origine, celui où se trouve encore leur famille. Dès lors, les enfants juifs de la Guette perdent leur statut de réfugiés et deviennent des étrangers pour l’État français. Alors même qu’il leur était demandé depuis six mois de devenir des petits Français, ils sont renvoyés à leur statut d’Allemand ou d’Autri­chien, renvoyés au statut d’étranger.

D’abord étrangers de l’intérieur dans leur pays d’origine parce que juifs, ils restent des étrangers dans leur pays d’accueil et, de par leur nationalité, ils sont regardés comme des « ennemis » de l’État français. Plus que pour ce qu’ils nous apprennent sur le déroulement des journées de la Répu­blique d’enfants au château de la Guette, les dessins décrivant le quotidien nous intéressent pour ce qu’ils semblent repré­senter malgré eux : la façon dont l’identité et l’individualité des enfants juifs étaient sans cesse renégociées à l’intérieur des maisons d’enfants.