Extrait de l'ouvrage : Face à l'avortement

« Je ne peux pas le garder, je n’ai pas les moyens ; Je suis trop jeune, je ne suis pas prête… » Le plus souvent sont perceptibles l’angoisse et la culpabilité liées à l’idée de tuer un être en devenir.

Dans le bureau de la psychologue

Comme tous les matins, je suis attendue à la consultation du centre d’IVG de l’hôpital. En arrivant, la salle d’attente est quasiment vide à l’exception d’une jeune fille, accompagnée de sa mère. Cette dernière m’accueille avec un sourire timide, sa fille ne lève pas la tête de son téléphone dont elle manipule les touches avec les pouces, à toute vitesse. À qui écrit-elle ? À qui répond-elle avec cette frénésie-là ? À son copain, à sa meilleure amie ? Parle-t-elle de ça ou de toutes ces choses tellement passionnantes du quotidien des adolescents qui ne peuvent souffrir ni le silence ni l’attente ? Quoi qu’il en soit, à cette heure matinale, il n’y a personne pour moi. Après avoir été accueillies au secrétariat, la mère et la fille attendent d’être reçues par le médecin qui va procéder à un examen gynécologique et qui datera la grossesse. Ensuite, elles verront la sage-femme qui leur expliquera en détail ce qui se passera pour la jeune fille le jour de l’intervention chirurgicale ou médicamenteuse. Celle-ci l’informera enfin de toutes les formes de contraception possibles. Et selon le cas, la jeune fille pourra également rencontrer l’assistante sociale. Il est peu probable qu’elle demande spontanément à rencontrer la psychologue à moins que ce ne soit la mère qui insiste, auquel cas je demanderai quand même à la jeune fille si elle y consent ; je peux aussi recevoir la mère seule car c’est souvent elle qui a besoin de parler à quelqu’un. Elle a beaucoup de questions et a parfois besoin d’un tiers pour l’aider à reprendre le dialogue avec sa fille. Il faudra donc vraisemblablement attendre la fin de la matinée avant qu’une « demande » émerge, généralement adressée par l’intermédiaire d’un des intervenants cités ci-dessus. Dans cette attente, j’irai voir à l’hôpital de jour comment les choses se déroulent pour les patientes admises pour une IVG ce matin et peut-être serai-je appelée « au second » dans le cadre de mon activité dans le service de chirurgie oncologique et mammaire qui, comme son nom l’indique, se situe au deuxième étage du bâtiment.

Pour l’heure, retournons au rez-de-chaussée en orthogénie, ce service sans lumière du jour mais dans lequel je dispose, au moins certains jours, d’un bureau muni d’un ordinateur ! Après un bref arrêt au niveau du secrétariat pour signaler ma présence, je m’apprête à recevoir la première patiente de la journée. Contrairement aux femmes qui sont dans la salle d’attente, elle a rendez-vous avec moi comme tous les mardis à 8 h 30. C’était le seul horaire qui lui convenait mais ce rendez-vous lui rappelle chaque semaine la situation dans laquelle elle se trouvait encore il y a quelques mois. Elle était alors, comme les femmes qui sont là ce matin, enceinte et dans l’attente d’une IVG. De ce travail en cours je ne peux rien dévoiler.

À distance de la première consultation, après que l’interruption volontaire de grossesse a eu lieu, je propose à certaines femmes de revenir quand la grossesse et la demande de l’interrompre semblent avoir réactualisé d’autres pertes, d’autres ruptures, parfois d’autres grossesses interrompues, laissant supposer une histoire qui, faute d’avoir été entendue, ne cesserait de se répéter. Cette répétition, lorsqu’elle est repérée, plonge la plupart des femmes qui en font l’expérience, dans un profond désarroi. C’est alors qu’elles demandent à me rencontrer une nouvelle fois. Dans le transfert au psychanalyste, un événement passé peut être reconnu dans le présent. Quand les patientes décident de rencontrer un psychanalyste à l’extérieur de l’hôpital, c’est un travail plus profond qui s’engage, une longue aventure à la rencontre de soi-même. Au fil de la libre association, la femme va être renvoyée à d’autres pertes, à d’autres choix, à d’autres figures féminines, qui toutes, peu à peu, trouveront leur place dans sa vie psychique et dans son histoire.