Psychiatrie et spiritisme
Des délires spirites aux psychoses spirites
Au début du xxe siècle, il y eut une vague de délires – ou du moins une inflation de diagnostics suggérant une telle « épidémie » – dans lesquels le spiritisme prit une part proéminente. Au sommet de cette vague fut créée la catégorie des « délires spirites » qui s’inséra temporairement dans la nosographie de la psychiatrie française.
Un auteur semble alors assez incontournable : le neurologue et psychiatre Jules Lévy-Valensi (1879-1943). Son analyse de la littérature psychiatrique sur le spiritisme et la folie nous permet d’identifier deux dimensions présentes dans l’interprétation de ce phénomène : 1) une dimension de certitude, impliquant un certain nombre de points sur lesquels la majorité des cliniciens s’accordait ; 2) et une dimension de doute, ou du moins d’interrogation, laissant place à des interprétations alternatives.
Parmi les idées prises pour des certitudes chez les aliénistes, les suivantes sont aisément repérables : les pratiques spirites étaient morbides ; les délirants spirites étaient des prédisposés ; le délire était essentiellement hallucinatoire.
Trois sortes d’hallucinations sont particulièrement présentes : des hallucinations auditives (les raps ou coups frappés et les voix des Esprits) et verbales motrices (l’Esprit parle par la bouche de l’individu) ; des hallucinations graphiques motrices (l’écriture automatique) ; des sensations de lévitation du corps et des impressions de lévitation des objets. S’ajoutaient encore les récits de voyages astraux ou de réincarnation qui étaient le plus souvent considérés comme des signes de délire onirique.
Mais l’aspect qui sera le plus discuté concerne l’état psychique particulier dans lequel est plongé le médium, avec les concepts d’automatisme psychologique, d’automatisme mental, de désagrégation, de dédoublement et de dissociation. Les états modifiés de conscience sont encore perçus du côté de la psychopathologie, ce qui place le médium dans la continuité du délirant, et le délirant médiumnique comme simple exagération de l’état normal du médium. Logiquement, cette nosographie se doublait d’un discours d’hygiène mentale mettant en garde le public contre le spiritisme – agent de la désagrégation et de la dissociation –, et proclamant sa toxicité – qui plus est contagieuse – pour l’esprit. « Ce fut la dernière certitude établie qui résumait toutes les autres en laissant clairement entendre que le spiritisme était un danger social et psychologique. »
Cependant, cette classification apparemment sans appel laissait encore place à plusieurs hésitations. D’une part, la question de l’authenticité des faits spirites partageait les cliniciens « selon leur mode d’attachement à la communauté scientifique et psychiatrique ». Cette ambivalence vint relativiser la validité absolue de l’explication par les hallucinations, en plus de l’ambiguïté que fit porter à ce diagnostic la notion d’hallucination véridique ou télépathique. Cette dernière intégrait les aspects psychophysiologiques de l’hallucination classique en plus de lui joindre une « coïncidence » (sous forme d’information ou d’événement), capable de transparaître à travers des analyses statistiques. Ces phénomènes excédaient néanmoins les cadres existants et plaçaient l’investigation psychiatrique face à ses limites.