Premier cours
Dr Jung : Quiconque s’intéresse sérieusement à la psychologie analytique ne peut manquer d’être frappé par l’étonnante ampleur du champ qu’elle englobe ; j’ai donc pensé que cela nous serait utile à tous si, au fil de ces cours, nous pouvions en avoir un aperçu. Pour commencer, je voudrais vous faire une brève esquisse du développement de mes conceptions depuis que j’ai commencé à m’intéresser aux problèmes de l’inconscient. Comme lors des occasions précédentes, vous m’aideriez beaucoup si vous pouviez y contribuer par des questions écrites, ce qui me permettrait de sélectionner celles qui conviennent à la discussion.
En 1896, il m’est arrivé quelque chose qui a déterminé ma vie future. On peut toujours s’attendre à un événement de cette sorte dans le cours d’une vie humaine – car je pense que l’histoire familiale ne peut jamais expliquer à elle seule les réalisations créatives. C’est le cas d’une jeune fille de quinze ans et demi, dont j’ai décrit le cas dans Psychologie et pathologie des phénomènes dits occultes, qui a déclenché mon intérêt pour la psychologie. Cette jeune fille était somnambule, et ses sœurs avaient découvert qu’elles pouvaient obtenir des réponses extraordinaires aux questions qu’on lui posait quand elle était en état de sommeil : en d’autres termes, on avait découvert qu’elle était medium. J’étais impressionné par le fait que, malgré les apparences, il devait y avoir une vie cachée de l’esprit qui se manifestait seulement dans la transe ou le sommeil. Une légère hypnose pouvait déclencher chez cette jeune fille une transe dont elle se réveillerait plus tard, comme de son sommeil. Pendant la transe, plusieurs personnalités pouvaient se manifester ; peu à peu, je me suis rendu compte que je pouvais invoquer par suggestion l’une ou l’autre de ses personnalités. En bref, je m’étais aperçu que je pouvais avoir de l’influence sur ces personnalités.
J’étais évidemment très intéressé par ces choses et j’ai commencé à essayer de les expliquer, ce que je ne pouvais faire à l’époque car j’avais seulement vingt et un ans et ignorais tout à ce sujet. Toutefois, je me suis dit qu’il devait y avoir un monde derrière le monde conscient, et que c’était avec ce monde que cette jeune fille était en contact. J’ai commencé à lire ce qui avait été écrit sur le spiritisme, mais n’ai rien trouvé de satisfaisant. Je me suis alors tourné vers la philosophie, toujours à la recherche d’un possible indice de cet étrange phénomène.
À l’époque, j’étais étudiant en médecine et passionné par mes études, mais également par la philosophie. Dans ma recherche, j’ai finalement rencontré Schopenhauer et Hartmann. Les idées de Schopenhauer m’ont beaucoup éclairé. Son idée essentielle est que la volonté comme pulsion aveugle à exister ne mène à rien, mais il se trouve tout simplement que « c’est la volonté créatrice qui fait le monde ». C’est ce qu’il dit dans Le Monde comme volonté et comme représentation. Toutefois, dans Volonté en soi, il tend vers une attitude téléologique, bien que ce soit en opposition directe avec sa thèse d’origine, ce qui arrive assez souvent chez les philosophes. Dans ce dernier travail, il fait l’hypothèse que la volonté créatrice est orientée vers une certaine direction, théorie que j’ai adoptée. Ma première idée de la libido n’était donc pas qu’il s’agissait d’une sorte de flux indéterminé, mais qu’elle était de nature archétypique. Ce qui veut dire que la libido n’émerge jamais de l’inconscient dans un état informe, mais toujours sous forme d’images. Pour employer une autre façon de parler, le minerai qui remonte de la mine de l’inconscient est toujours sous forme cristallisée.