Extrait de l'ouvrage : L'odeur du si bémol - L'univers des hallucinations

« Totalement défoncé à Londres, j’hallucinais Azincourt sur 
l’une des manches de ma robe de chambre. Sans bouger, j’avais contemplé mon camp d’Azincourt pendant plus de douze heures. »

Je commençai par le cannabis. Un ami de la région du Topanga Canyon, près duquel j’habitais à l’époque, m’ayant proposé un joint, j’en tirai deux bouffées puis fus sidéré par ce qui advint : quand je la regardai, ma main me parut emplir tout mon champ visuel, en grandissant et en s’éloi­gnant de moi en même temps. Finalement, me sembla-t-il, je pus voir une main qui s’étendait d’un bout à l’autre de l’univers, sur une distance se mesurant en années-lumière ou en parsecs – on aurait toujours dit la main vivante d’un être humain, mais cette main devenue inexplicablement cosmique ressemblait en outre à la main de Dieu. Ma première expérience de l’herbe fut donc marquée au coin de la neurologie et du divin à la fois.

Je goûtai pareillement au LSD et aux graines de gloire du matin, drogues disponibles à foison sur la Côte Ouest en ce début des années 1960. « Mais si tu veux faire une expérience vraiment géniale, essaie l’Artane® », me dirent sur ces entrefaites mes amis de Muscle Beach [plage californienne chère aux culturistes, NdT]. (…) « Vas-y, m’encouragèrent mes amis. N’en prends que vingt… tu garderas ainsi un contrôle partiel de la situation. »

Un dimanche matin, par conséquent, je comptai vingt comprimés, les fis descendre avec une gorgée d’eau, m’assis et guettai le premier effet. (…) J’avais la bouche sèche, mes pupilles s’étaient dilatées et je lisais difficilement, mais ce fut tout : je n’observai aucun effet psychique, déception pour moi d’autant plus cruelle que, même si je n’avais pas su exactement à quoi m’attendre, je m’étais attendu à quelque chose.

Alors que je mettais de l’eau à chauffer sur ma cuisinière pour me faire du thé, j’entendis frapper à la porte de devant.

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C’étaient mes amis Jim et Kathy, qui me rendaient souvent visite à l’improviste le dimanche matin. « Entrez, la porte est ouverte », leur lançai-je avant de leur deman­der pendant qu’ils s’installaient dans la salle de séjour : « Comment aimez-vous vos œufs ? » Jim me répondit qu’il les voulait au plat et Kathy, qu’elle les préférait frits des deux côtés, puis nous papotâmes tandis que leurs œufs au jambon grésillaient – comme la cuisine et la salle de séjour n’étaient séparées que par une porte basse à double battant, nous pouvions nous entendre sans difficulté.

Cinq minutes plus tard, je criai « Tout est prêt ! », posai leurs œufs au jambon sur un plateau, passai dans la salle de séjour… et découvris que cette pièce était totalement vide : je ne vis ni Jim, ni Kathy, ni le moindre signe qu’ils avaient été là. J’en restai si stupéfait que je laissai presque tomber le plateau. Il ne m’était pas venu à l’esprit un seul instant que les voix de Jim et de Kathy, leurs « présences », étaient irréelles et hallucinatoires, (…) rien n’avait laissé trans­paraître que mon cerveau avait inventé l’intégralité de cette conversation, ou les répliques de mes deux amis au moins. (…)

« Attention, Oliver !, me dis-je. Reprends-toi en main et veille à ce que cet épisode ne se répète jamais. » Tout en m’abîmant dans ces pensées, je mangeai lentement mes œufs au jambon (ainsi que ceux de Jim et de Kathy) puis décidai d’aller à la plage pour y retrouver le vrai Jim, la véritable Kathy et tous mes autres amis, m’offrir une bonne séance de natation et paresser jusqu’au soir. (…)