Goûter la vie
Ghislaine De Sury, Le Goût de vieillir, Éditions de la Martinière, Points Vivre, 2016, 288 pages, 17 euros.
Voici une toute jeune auteure de quatre-vingts ans. Qui a décidé de prendre à bras-le-corps cette pensée, trop souvent admise, qui voudrait que vieillir soit une calamité. Avec esprit et délicatesse, Ghislaine de Sury raconte les surprises, les tâtonnements de la femme âgée qu’elle est devenue malgré elle. Commençant par se moquer tendrement d’elle-même, elle finit par s’inventer une nouvelle voie pour mieux « goûter la vie ».
« En regardant le chemin parcouru ces vingt dernières années, je m’aperçois que cette période que je redoutais a été incroyablement riche de surprises, de découvertes, de transformations… et que j’en ai encore de multiples à vivre. Ce que j’appréhendais comme un déclin inéluctable, la pire période de ma vie, s’est révélé une aventure peut-être aussi étonnante que les vingt premières années de mon existence. »
GHISLAINE DE SURY
Récemment décédée, Ghislaine de Sury partageait sa vie entre Paris et le Jura. Le Goût de vieillir est son deuxième livre.
J’ai bientôt quatre-vingts ans, autrement dit, un âge largement canonique !
En regardant le chemin parcouru ces vingt dernières années, je m’aperçois que cette période que je redoutais a été incroyablement riche de surprises, de découvertes, de transformations… et que j’en ai encore de multiples à vivre. Ce que j’appréhendais comme un déclin inéluctable, la pire période de ma vie, s’est révélé une aventure peut-être aussi étonnante que les vingt premières années de mon existence. Il me semble à présent que, derrière la peur de vieillir que j’ai partagée et partage encore avec la plupart de mes contemporains, se cache aussi, pour peu que l’on y prête attention, un certain « goût de vieillir ».
Comme les autres temps de la vie, celui du vieillir n’est jamais linéaire : il procède par lentes évolutions, sauts brutaux et même retours en arrière. Aujourd’hui plus que jamais, il prend mille visages selon les conditions de vie et les accidents qui l’affectent. L’une de mes filles, gériatre, a l’habitude de dire que la santé de chaque personne âgée représente un condensé de son histoire personnelle et que cela rend passionnante sa propre spécialité de médecin. Comme elle, je ne suis pas éloignée de penser que l’on vieillit comme l’on a vécu. Avec des possibilités inédites de changements, ce qui rend exceptionnellement intéressant cet âge de la vie.
J’ai voulu explorer la façon dont j’ai profité de cette chance. (…)
L’étonnement de vieillir
« Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers et vous esmerveillant :
“Ronsard me célébroit du temps que j’estois belle”. »
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578
Des clignotants qui s’allument
Ah non ! J’ai beau les connaître par cœur, serinés depuis l’école primaire, ces vers de Ronsard ne me concernent pas. À soixante ans, je me sens encore jeune, devenir vieille, c’est pour demain, après-demain… Et, dans ce cas, je ne servirai pas de faire-valoir à un poète en mal d’inspiration !
À moi la plume et la parole.
Nous n’avons jamais vraiment cru, hommes et femmes du XXIe siècle, que la vieillesse nous rattraperait. Les progrès foudroyants de la médecine, l’évolution accélérée de la société et, plus particulièrement, la révolution du statut des femmes ont complètement occulté cette réalité du corps et de la vie : vieillir. Je mets au défi mes contemporaines de l’avoir anticipée comme le faisaient, sans doute mieux que nous, nos grands-mères qui avaient des rôles bien définis dans lesquels se couler.