Extrait de l'ouvrage : Les enfants d'Asperger, le dossier noir des origines de l'autisme

Edith Sheffer, Les Enfants d’Asperger, le dossier noir des origines de l’autisme, Flammarion, 2019, 398 pages, 24 euros.

Qui fut vraiment Hans Asperger dont le nom passé dans le langage courant qualifie aujourd’hui un syndrome autistique ? L’historienne américaine Edith Scheffer a découvert la véritable histoire du psychiatre après la naissance de son enfant autiste. Et ce qu’elle apprend la glace d’effroi. Le « gentil docteur » dépeint comme une sorte de Schindler des autistes a menti, et c’est un tableau bien différent qu’en dressent les archives. Les preuves ne manquent pas, elles sont accablantes. En 1938, professeur à l’hôpital pédiatrique de Vienne, Asperger compte parmi les psychiatres appelés à façonner le nouvel Allemand selon des critères eugéniques : sélectionner les parents d’après leur hérédité, leurs défauts biologiques mais aussi leurs tendances politiques, leur religion. Les conséquences sont réelles : on refuse des crédits aux « mal mariés », on stérilise les « mauvais » géniteurs… Et parmi les enfants autistes dont il est un spécialiste reconnu, Asperger identifie les « négatifs » et les « positifs » à l’intelligence détonante qui auront alors une chance d’échapper au tri macabre. Aux États-Unis, l’enquête d’Edith Sheffer a bouleversé et conduit à débaptiser le syndrome autistique. En France, cette histoire dramatique, encore méconnue, risque bien de susciter autant d’émotions.

Edith Sheffer

Edith Sheffer enseigne l’histoire contemporaine à l’université de Berkeley (Californie). Les Enfants d’Asperger est son premier livre traduit en français.

 

 

Chapitre VI Asperger et le programme de mise à mort

(..) En fondant en 1941 la Société de pédagogie curative de Vienne avec Franz Hamburger, Erwin Jekelius et Max Gundel, Asperger collabora avec trois auteurs majeurs des meurtres d’enfants à Vienne. Afin d’évoluer dans ces sphères, il dut faire preuve d’initiative et d’une extraordinaire fiabilité. Il le savait, puisqu’il reconnut plus tard qu’il était pleinement informé du programme d’euthanasie. Ses liens avec les leaders de l’euthanasie d’enfants découlèrent d’un choix actif et non passif.

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Lors du colloque de la Société de pédagogie curative de Vienne, Asperger enjoignit publiquement à ses collègues de transférer au Spiegelgrund les enfants qu’il qualifiait de « cas difficiles ». Il déclara à l’assistance que si les jeunes prometteurs devaient être placés en « observation ambulatoire » dans un service recréant une véritable « situation de liberté ».

Pour tous les cas difficiles, seule une observation stationnaire prolongée [était] appropriée, comme celle pratiquée dans [son] service de pédagogie curative à l’hôpital pour enfants ou à la maison de redressement du Spiegelgrund.

Il est possible que la recommandation d’envoyer les « cas difficiles » au Spiegelgrund, chez son collègue Jekelius, eût été bienveillante. Mais étant donné que les activités de ce dernier étaient de notoriété publique et qu’Asperger était, lui aussi, au courant du programme d’euthanasie, ses remarques avaient un contexte et un sous-entendu. Son auditoire pourra fort bien avoir entendu un message très différent.