Retour d’une mort imminente
Katia Ghanty, Les Frottements du cœur, journal hospitalier, Carnets Nord, 2017, 384 pages, 18 euros.
« Comme c’est étrange, à 29 ans, d’avoir le cœur qui flanche. Entre début avril et fin juin, j’ai passé quarante-huit jours à l’hôpital. Jours de grande souffrance physique et morale, de peurs multiples, de solitude, de tristesse, de frustrations, de colère. Dès que mon état l’a permis, j’ai demandé que l’on m’apporte un carnet et un stylo. Écrire pour soulager mon cœur, pour me libérer, pour revenir au monde, pour avancer. »
En mars 2016, à la suite d’une grippe, Katia Ghanty est emmenée à l’hôpital dans un état critique. Son cœur est très affaibli, elle est en danger de mort, et les premiers soins et traitements ne suffisent pas : les médecins décident de la brancher, en urgence, sans l’endormir, à un appareil assurant une circulation du sang extracorporelle. Elle sera raccordée sans sédation pendant six jours à cette machine, puis passera près d’un mois et demi à l’hôpital, entre rechutes et surveillance, services de réanimation, cardiologie et soins intensifs.
Dans ce témoignage poignant, on navigue entre la série Urgences où tout s’affole, les machines à compter les battements du cœur comme les visages des proches, et une sorte de voyage de retour d’une mort « imminente ».
KATIA GHANTY
Katia Ghanty a 30 ans et est comédienne, notamment pour le théâtre.
Jour 2 : samedi 9 avril
Branle-bas de combat
D’un seul coup, six personnes sont là, je ne les ai même pas vues arriver.
Mais d’où sortent-ils, tous ces gens ?
Infirmiers ou aides-soignants, ou les deux, je ne sais pas, principalement des blouses vertes. Ils font rouler dans la chambre un nouveau lit, qu’ils placent juste à côté du mien.
« 1, 2, 3 ! »
Me voilà dans mon nouveau berceau.
Très vite, trop vite, commence le ballet survolté du « débranchage – rebranchage » : on m’ôte les électrodes pour m’en coller de nouvelles, je ne suis plus liée à l’ordinateur mais à une sorte de moniteur portable, pour le temps du trajet jusqu’à ma nouvelle chambre, j’imagine. Opération délicate de démêlage de fils. La grande poche plastique contenant le nauséabond liquide inflammatoire de mon péricarde est placée dans le lit, près de moi.
« Alors ce n’est pas très pratique, on va devoir passer par les sous-sols », m’explique-t-on. Ces charmants sous-sols que j’ai eu l’occasion de découvrir la veille en allant faire mon scanner.
On se met en route, brinquebalant équipage. On prend l’ascenseur. Parcours dans les couloirs grisâtres. Il fait froid, le lit se cogne à tous les coins possibles, chaque secousse me fait l’effet d’une claque balancée directement dans la tronche, je ne cesse de répéter : « Doucement, doucement ! », mais personne ne m’entend.
L’équipe semble de bonne humeur, ils discutent bruyamment au-dessus de ma tête, ils rient, ils se lancent des vannes. Leurs voix stridentes me percent les tympans. Je me sens très, très loin d’eux à ce moment-là, très loin de tout le monde, à vrai dire.
Je vais me faire opérer. On va me greffer une machine. L’ECMO. Un nom d’étrange de vaisseau spatial. Ou de comète. Ou d’astéroïde. Est-ce que ça va marcher ? Je suis glacée de peur.