Extrait du chapitre I
Intelligence et évolution du cerveau
Il est évident que notre espèce doit ses remarquables réalisations à cet outil extraordinaire, ce chef-d’œuvre de l’évolution, qu’est notre cerveau. Ce précieux organe, qui peut compter jusqu’à cent milliards de neurones, chacun pouvant être connecté à dix mille autres, est considéré comme l’objet le plus complexe de l’univers connu. Il constitue le support biologique de notre esprit et des propriétés qui nous déterminent en tant qu’espèce : nos capacités cognitives exceptionnelles, la plasticité de nos comportements et notre capacité à interagir avec autrui à travers des réseaux extrêmement vastes et complexes. On peut regrouper de manière large toutes ces capacités sous le terme d’intelligence, et une image très simple consisterait à la comparer à la force physique. Le niveau de notre intelligence est le résultat du cerveau comme la force physique est celui des muscles. Certaines personnes naissent plus fortes que d’autres, et l’entraînement permet d’augmenter en partie cet avantage, mais d’une manière limitée. Comment ne pas voir, dès lors, dans l’évolution de la taille du cerveau, qui s’est faite de concert avec la complexification de nos outils et de nos sociétés, la preuve qu’il existe un lien entre taille du cerveau et intelligence ?
Cerveau humain et cerveau animal
Le paléoanthropologue Jean-Jacques Hublin s’est penché sur cette question. Directeur du département d’anthropologie évolutionniste à l’Institut Max-Planck de Leipzig, il s’intéresse aux évolutions biologiques et culturelles à l’origine de l’homme moderne.
« Il serait naïf de penser qu’il n’existe aucun lien entre la taille du cerveau et la complexité des ‘‘comportements’’ que nous pourrions nommer intelligence. Les animaux ‘‘les plus intelligents’’, comme certaines formes de dauphins par exemple, possèdent un très grand cerveau, doté d’un grand nombre de neurones. Nous retrouvons chez eux quelque chose qui rappelle ce que l’on observe chez les grands primates et chez l’homme. »
La taille du cerveau semble donc jouer un rôle. Pourtant, le cerveau d’un éléphant pèse environ cinq kilos, près de quatre fois plus que le cerveau humain. Malgré toutes les prouesses dont est capable ce noble pachyderme, il est difficile d’imaginer qu’il puisse être quatre fois plus intelligent que nous. Jean-Jacques Hublin précise :
« Dans une perspective longue, une perspective géologique, nous retrouvons bien un accroissement de la taille du cerveau au cours de l’évolution humaine. Il y a environ deux millions d’années, les premiers hommes possédaient des cerveaux à peine plus gros que ceux des grands singes actuels : chimpanzé, gorille, etc. Ensuite, la taille du cerveau, proportionnellement à celle du corps, a grandi de façon régulière au cours du temps. Il est important de mettre cette croissance de la taille du cerveau en relation avec la taille absolue et l’évolution du volume corporel. »
Pour comprendre le lien entre la taille du cerveau et la complexité comportementale, il faut donc tenir compte du rapport entre la taille et le poids du cerveau, et celui du corps. Globalement, chez tous les vertébrés ce rapport est proportionnel. Mais certains possèdent des cerveaux plus grands et plus lourds que ne le laisse supposer le reste de leur corps. Parmi eux, outre l’homme, se distinguent les dauphins ou encore les perroquets. Ce rapport de masse paraît donc être un bon paramètre pour mesurer l’intelligence.