Extrait de l'ouvrage : S'engager aux côtés des familles, Comment notre histoire personnelle influence notre vie professionnelle

« Le suicide de Dominique s’avérera être le terreau d’une véritable résurrection, pas seulement pour elle mais également pour notre couple. Au terme d’une longue agonie psychique, elle était bien vivante. »

Chronique d’une époque chahutée

Dominique allait tellement mal que depuis longtemps, elle parlait de tirer sa révérence. Me sentant impuissant à pouvoir la comprendre et encore plus à l’aider, je donnais régulièrement la priorité à mes obligations professionnelles sur mon engagement conjugal. Chaque tentative maladroite de ma part pour élucider le terrible mal qui rongeait mon épouse se terminait désespérément de la même façon : « S’il te plaît, laisse-moi en paix, ne joue pas au psy avec moi, j’ai besoin d’être seule ! »

Un dimanche après-midi, alors que j’avais préparé les vélos pour partir en balade, Dominique, au dernier moment, déclina l’invitation à m’accompagner. Elle ne se sentait pas bien et préférait se reposer. Un peu las, j’avais décidé de partir quand même. Trois heures plus tard, à mon retour, seule Perrine, notre fille cadette, âgée alors de 17 ans, était présente. Je ne savais pas où se trouvait Stéphanie, notre aînée de 19 ans : sans doute au club d’équitation, son endroit favori pour passer ses loisirs. Perrine s’inquiétait de ce que sa maman dormait depuis très longtemps et me demanda s’il ne fallait pas la réveiller. La réponse n’était pas évidente. Pas plus qu’à ses questions récurrentes : « Maman est encore dans sa chambre. Qu’est-ce qu’elle fait ? » Ou plus souvent : « Qu’est-ce qu’on lui a fait ? » Il faut croire que les filles ne se satisfaisaient pas de ma réponse : « Maman n’est pas bien, elle a besoin de repos, cela n’a rien à voir avec vous ! ».

Cette fois, un bruit à l’étage ne me laissa guère le temps de répondre. En voulant se relever du lit, Dominique s’était accrochée à un grand miroir de pied qui s’était retrouvé par terre, brisé en plusieurs morceaux. En quelques enjambées, nous nous retrouvâmes dans la chambre. Dominique était allongée en train de perdre connaissance. Les tablettes de médicaments vides par terre montraient l’évidence. Perrine fit mine de redescendre au rez-de-chaussée en disant qu’elle allait téléphoner à une ambulance. « Pas le temps d’attendre, nous allons faire l’ambulance nous-mêmes ! », lui répondis-je empressé. (Ah, ce souci de toujours vouloir tout faire soi-même !) Le corps de Dominique se laissait aller comme une masse de pâte à pain qui refuse de monter. Il n’était pas évident pour nous de la porter jusqu’à la voiture sans qu’elle cognât contre le nez de chaque marche d’escalier. Perrine secouait désespérément sa maman, lui tapotait les joues et lui parlait tendrement pour tenter de la réveiller.

Les quatre feux allumés en guise de gyrophare et le klaxon en faction quasi permanente, comme pour un défilé de tifozzi dans les rues de Grâce-Hollogne après une victoire de la Juve en coupe d’Europe, nous roulions à tombeau ouvert vers les urgences de l’hôpital le plus proche. Est-ce parce que c’était un dimanche que la durée des feux rouges avait doublé ou triplé ? Quoi qu’il en soit, l’attente était tellement insupportable qu’au troisième, je pris soin de ralentir pour le brûler presque prudemment. J’abandonnai ma voiture devant l’entrée des urgences pour suivre le brancard et tenir l’autre main de Dominique jusqu’à la salle de réanimation. Là, je réalisai avec soulagement que Perrine avait eu la présence d’esprit de prendre les emballages des médicaments. Je connaissais le sort qui était habituellement réservé aux « intox », comme ils disaient, afin de les dissuader de recommencer : un lavage d’estomac puis dans le couloir, sur un lit roulant de fortune. Ça ne valait pas la peine d’occuper une chambre qui resterait ainsi disponible pour accueillir un « vrai patient » qui en aurait réellement besoin. Heureusement, Dominique allait échapper à ce traitement spartiate qu’elle avait vu (ou dû) pratiquer à de nombreuses reprises à l’hôpital. Ce n’est pas qu’elle était une VIP (Very Important Patient) mais son cas réclamait toute une batterie d’appareils pour tenter de la sauver. Elle avait absorbé une quantité de bêtabloquants capables de tuer un cheval en ralentissant son cœur jusqu’à plus de vie. Sorti de l’effervescence du trajet et de l’accueil aux urgences, je pensai à prévenir Stéphanie et à parquer ma voiture plus loin. Le contrecoup ne se fit pas attendre. Le simple fait d’avoir à expliquer la situation à Stéphanie me fit fondre en larmes.