Extrait de l'ouvrage : Une histoire du crime passionnel - Mythe et archives

« À l’occasion d’une absence de son mari, la dame fait mettre 
nue sa rivale, la fait battre de verges par une de ses servantes, 
enfin ordonne à celle-ci de couper le nez de la coupable. »

Extraits du chapitre 1

LES CRIMES PASSIONNELS ET LEURS HISTOIRES

Le crime passionnel est un objet polymorphe. À y regarder de près, il apparaît même comme un crime en trompe-l’œil. C’est pourquoi établir une chronologie d’une telle pratique, du Moyen Âge à nos jours, est une entreprise bien difficile.

Le schéma « classique » du crime passionnel est celui du triangle amoureux : deux personnes qui en aiment une troisième, qui se jalousent et qui entrent en conflit ou qui s’en prennent à l’être aimé. Il aboutit à deux cas de figure symétriques : le meurtre commis par la victime de l’infidélité (« les amants victimes ») ou à l’inverse le meurtre de celle-ci (« les amants criminels »). Reste un troisième cas de figure : « les amours impossibles » qui finissent tragiquement. Ces trois cas de figure se décomposent chacun en plusieurs variantes et se rencontrent à toutes les époques.

Les amants victimes

Ce premier cas de figure se décline en trois variantes. Dans une première variante « Roméo lâché attend Juliette au coin d’une rue et la supprime ; ou bien : Juliette abandonnée guette Roméo derrière une porte et le tue, à moins qu’elle ne le défigure », ce qui donne, transporté en terre bretonne en 1854 (précisément à Trigavoux dans le département des Côtes-du-Nord, aujourd’hui nommé Côtes-d’Armor), Noël Briand, un marin de cinquante-quatre ans qui, ayant appris que sa femme est la maîtresse d’un homme du village de Plestin, lui assène en plein jour de violents coups de pied et de poing, et la tue. Dans cette variante le crime est donc dirigé contre la personne aimée : découvrant son infidélité, la personne trompée la tue, par une impulsion subite ou après une plus ou moins longue préméditation, ou s’en venge autrement, telle dans la mythologie Héra qui transforme en génisse Io avec laquelle Zeus la trompe, une pratique qui s’est modernisée dans l’emploi du vitriol très longtemps après.

C’est souvent dans le cadre d’une séparation qu’un tel scenario se met en place : le désespoir de l‘un peut animer le désir de se venger de l’autre. En 1871 en Charente-Inférieure (aujourd’hui Charente-Maritime), la femme Chamil quitte son mari à la suite de maltraitance. Armé d’un fusil, il l’attend sur un chemin afin de la convaincre de retourner au domicile conjugal. « Que me veux-tu ? – Je veux te demander que nous revenions vivre ensemble. – Aucunement ! Nos deux corps ne sont plus faits pour se toucher. – Puisqu’il en est ainsi, tu peux faire ton acte de contrition. » Il fait alors feu sur elle et la blesse mortellement. (…)

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Dans une deuxième variante, le crime est dirigé contre le complice de la trahison amoureuse (l’amant ou l’amante). Il est possible que le meurtre de l’épouse et celui de l’amant ne ressortissent pas exactement des mêmes motivations : le premier serait le prolongement ultime d’un conflit domestique, tandis que le meurtre du rival serait une vengeance. Dans la mythologie Mélénas tue Déiphobe qui, après la mort de Pâris, l’a emporté sur son frère Hélénos pour obtenir la main d’Hélène, épouse de Mélénas. En Touraine vers 1530 le seigneur de la Fourcrerye « usait » de Marion « en présence de sa femme comme sa concubine » ; à l’occasion d’une absence de son mari, la dame fait mettre nue sa rivale, la fait battre de verges par une de ses servantes, enfin ordonne à celle-ci de couper le nez de la coupable, ce qui est exécuté. Vers la même date à Rouen une femme frappe elle-même à la poitrine « d’une courte dague » la maîtresse de son mari (un orfèvre) qui en meurt le lendemain. À Toulon-sur-Arroux dans le Charolais en 1728 Jean Boiveau porte sa volonté et ses actes homicides non pas sur son épouse, mais seulement sur l›amant supposé de celle-ci, Barthélémy Bérard, qu’il essaie plusieurs fois de tuer (sans y parvenir) : « Étant arrivé sur le soir, et ayant trouvé ledit sieur Bérard [chez lui Boiveau] qui se sauvoit et qui se cachoit dans une chambre […], il prit ses deux pistolets et son épée, et le cherchant pour le tuer. » En 1892 à Paris une femme mariée découvre brusquement que son mari la trompe avec son amie d’enfance : « Yvonne était couchée dans le lit que mon mari venait de quitter. À ma vue, elle repoussait impudiquement les couvertures, se montrant presque nue dans ce lit d’où mon mari se lève. » Elle la tue aussitôt. Sur le même modèle le 15 juillet 1912 à Rennes, Berthe Leclair assassine Jeanne Obitz, la maîtresse de son mari Albert. « Rien de plus simple à raconter que le drame lui-même. Il était huit heures et demie du matin, Jeanne Obitz était levée et vaquait à quelques menues occupations, vêtue d’un simple peignoir […]. Tout à coup la porte s’ouvrit. Dans un froufrou d’étoffes, dans un éclair, une détonation partit, secouant l’immeuble. »