Extrait de l'ouvrage : Une théorie de la dissonance cognitive

« Comment se fait-il que des personnes se retrouvent à faire des choses allant à l’encontre de ce qu’elles savent ? Pourquoi certaines de leurs opinions diffèrent- elles de leur façon de penser ? »

CHAPITRE I

Introduction à la théorie de la dissonance

Il a souvent été sous-entendu et parfois même souligné que l’individu s’évertue à rester cohérent et consistant avec lui-même. Par exemple, ses opinions et ses attitudes ont tendance à former des ensembles dont les éléments constitutifs sont cohérents entre eux. Il est certes possible de trouver des exceptions. Une personne pourrait penser que les Noirs sont aussi respectables que les Blancs, mais ne voudrait pas en avoir dans son quartier. Ou alors une personne pourrait penser que les enfants ne doivent pas faire de bruit et être sages et serait cependant très fière si le sien s’acharnait à monopoliser l’attention des invités de ses parents. Dans de telles circonstances, les contradictions peuvent être frappantes, mais elles retiennent principalement notre intérêt car elles présentent un contraste saisissant au regard de la consistance. Dans la plupart des cas, les opinions ou les attitudes apparentées sont cohérentes les unes avec les autres. Dans toute nouvelle étude, chez chaque individu, on retrouve ce type de consistance entre les attitudes politiques, les attitudes sociales, etc.

Cette relation existe également entre ce qu’une personne sait ou croit et ce qu’elle fait. Une personne pensant que faire des études supérieures est une bonne chose poussera vraisemblablement ses enfants à en faire. Un enfant sachant qu’il sera sévèrement puni s’il fait des bêtises n’en fera pas, ou du moins essaiera de ne pas se faire prendre. Cela n’a évidemment rien de surprenant. Cela est tellement entré dans les mœurs que nous le tenons pour acquis. Ici encore, nous allons concentrer notre attention sur les exceptions à la cohérence des comportements. Une personne peut savoir que fumer n’est pas bon pour elle et continuer à le faire. De nombreux individus commettent des crimes tout en sachant pertinemment qu’ils ont de grandes chances d’être pris et connaissant la punition qui les attend.

En admettant que la cohérence soit habituellement de mise, peut-être même presque toujours, qu’en est-il de ces exceptions qui viennent si facilement à l’esprit ? Il est très rare que ces dernières soient psychologiquement reconnues comme des inconsistances par l’intéressé. En général, les intéressés tentent de les rationaliser avec plus ou moins de succès. Ainsi, la personne qui continue à fumer, tout en sachant que c’est mauvais pour sa santé, peut aussi penser (a) qu’elle aime tellement fumer que cela en vaut la peine ; (b) que les chances de tomber malade sont moins fréquentes que ce que l’on dit ; (c) qu’elle ne peut éviter tous les aléas imaginables et dangereux de la vie ; et (d) que si elle arrêtait la cigarette, elle pourrait prendre du poids, ce qui serait tout aussi nocif pour sa santé. Par conséquent, continuer à fumer est, après tout, en accord avec ses idées sur le tabac.

Toutefois les individus ne réussissent pas toujours à rationaliser leurs inconsistances ou à se les expliquer. Pour une raison ou une autre, on n’y arrive pas toujours. L’incohérence subsiste alors. Dans ce cas – c’est-à-dire, en présence d’une inconsistance – il y a un inconfort psychologique.

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Les hypothèses fondamentales, les ramifications et les implications de ces incohérences qui seront examinées dans la suite de ce livre, peuvent maintenant être exposées. Tout d’abord, je vais remplacer le terme d’« inconsistance » par un mot à connotation moins logique, à savoir, dissonance. De même, je vais remplacer le terme de « consistance » par un mot plus neutre : consonance. Ces termes seront plus clairement expliqués un peu plus loin. Pour le moment, essayons de nous en tenir à la signification implicite qui leur a été conférée ci-dessus.