Faut-il brûler les études postcoloniales ?

« Anachronisme », « non-sens », « essentialisme » : un essai polémique s’attaque aux prétentions des postcolonial studies à la française. Un ouvrage collectif réaffirme néanmoins la pertinence de leur regard, et esquisse la possibilité d’un débat plus serein.

Après la fracture coloniale, la fracture académique ? En France, les critiques se font de plus en plus nombreuses vis-à-vis du courant des études postcoloniales. Symbolisé par la parution de l’ouvrage collectif La Fracture coloniale en 2005, ce courant, très développé dans le monde anglo-saxon, souligne la prégnance d’un « héritage colonial » dans le rapport de la société française à ses immigrés, qu’il s’agisse des discriminations persistantes, des problèmes des banlieues ou des « guerres de mémoire » autour de la guerre d’Algérie par exemple. Le message politique se double d’une ambition scientifique invitant en particulier à intensifier les recherches en histoire coloniale et à analyser les dimensions imaginaire et culturelle de cet héritage. Le débat politique, on le sait, reste vif. Mais le débat proprement scientifique est également monté d’un ton, avec la parution d’un court essai polémique de Jean-François Bayart. Spécialiste des relations internationales et de l’État en Afrique, il s’y irrite des « anachronismes » et des « non-sens » que commettent selon lui les tenants des études postcoloniales.


Une vision essentialiste de la colonisation

Il relativise tout d’abord la nouveauté que constituerait ce courant en France. Entre les écrits de Frantz Fanon (préfacés par Jean-Paul Sartre) ou d’Aimé Césaire, les travaux de Michel de Certeau sur les « ruses » et les « stratégies », ceux sur l’Algérie de Germaine Tillon ou Pierre Bourdieu, les études des historiens du colonialisme ou de la sociologie politique comparée…, les Français semblent avoir été, selon J.-F. Bayart, des « Monsieur Jourdain » pratiquant les postcolonial studies sans le savoir !