Nicolas Sarkozy propose de supprimer la fonction de juge d'instruction et de confier la totalité des enquêtes pénales au Parquet. Qu’est-ce qui est reproché au juge d’instruction ?
Les reproches adressés au juge d'instruction sont très anciens. Entre 1808, date de son apparition officielle, et 1897, il exerce la totalité des pouvoirs dans la phase préparatoire du procès pénal. Réforme majeure, en 1897, l’avocat intervient au stade de l’instruction, et l’inculpé a un droit d’accès au dossier... Le premier grand reproche qui est alors fait au juge d’instruction, c’est de ne pas être efficace dans la recherche de la vérité, car il doit composer avec la présence de l'avocat. En 1958, la réforme Debré proclame l’indépendance du juge d’instruction. Là, le deuxième grand reproche qu’on va lui adresser, c’est d’avoir trop de pouvoirs, puisqu’il est à la fois enquêteur dans des affaires pénales, et juge, ce qui lui permet de décider en toute indépendance, par exemple, de la détention provisoire. Il est de plus chargé, à l’issue de l’enquête, de « renvoyer » le justiciable devant une juridiction de jugement. Il y a là une contradiction : pour les uns, il est inefficace comme enquêteur ; pour les autres, il a trop de pouvoirs comme juge. On retrouve cette contradiction aujourd’hui : ce juge n’instruit que 4% des affaires pénales, il a un rôle mineur d’un point de vue quantitatif, mais il instruit les affaires complexes - politiques, financières, voire internationales - où son impact est décisif. Pour ces raisons, l’idée d’un redécoupage de ses compétences chemine depuis longtemps : le professeur Henri Donnedieu de Vabre, en 1949, proposait déjà de supprimer le juge d’instruction qui concentre trop de contradictions pour demeurer efficace dans la recherche de la vérité.
Dans la réforme annoncée, quels pouvoirs aura le juge de l’instruction prévu en remplacement de l’actuel juge d’instruction ?
L’avant-projet de loi présenté actuellement est inspiré des réflexions du rapport Léger. La ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a ouvert une période de deux mois de concertation sur le sujet. Le juge d'instruction serait remplacé non pas par le juge de l’instruction, annoncé par Nicolas Sarkozy en janvier 2009, mais par un juge de l’enquête et des libertés (JEL), issu du rapport Léger. Les pouvoirs d’enquête, comme les auditions de prévenus, de témoins ou les expertises, seront transférés au Parquet. Les pouvoirs juridictionnels, par exemple la privation ou la restriction de liberté, seront confiés au JEL, qui pourra contrôler aussi l’enquête (1). Ainsi, la répartition des pouvoirs apparaît beaucoup plus claire. Le JEL (dans le projet de Mme Alliot-Marie mais non dans le rapport Léger) pourra aussi prononcer, à la clôture de l’enquête, soit un non-lieu, soit un renvoi en jugement. Ce point apparemment technique me semble très important : il garantit un noyau de compétence solide de ce nouveau juge, face à la suprématie du Parquet. Mon inquiétude porte plutôt sur l’inégalité de la défense. L’avocat français n’a pas une culture d’investigation. Il existe une grande disparité de moyens parmi les avocats, entre de grands cabinets et des cabinets individualisés. Il risque d'y avoir aussi une inégalité des avocats face au « pôle » Parquet et police, qui mobilise de grands professionnels de l’enquête, notamment le Service régional de police judiciaire (SRPJ), l’aristocratie policière. Actuellement, le juge d’instruction, par sa position médiane, garantit un équilibre. Avec la réforme, que devient la balance des pouvoirs à l'intérieur du système judiciaire ? La disparition du juge d’instruction entraînerait incontestablement une rupture d’équilibre.