Faux self : bas les masques !

Porter un masque pour mieux jouer la comédie sociale, c’est une chose. Oublier qu’on le porte ou se sentir incapable de l’enlever, c’en est une autre ! Comment se retrouve-t-on piégé par son faux self ? Et comment s’en débarrasser ?

Au temps du théâtre grec, les acteurs avaient pour habitude de porter des masques (les per sona) permettant aux spectateurs de reconnaître le rôle qu’ils jouaient, mais aussi de faire résonner leurs voix, afin d’être audibles pour tous. Ces persona, du latin per-sonare, « parler à travers », le psychanalyste suisse Carl Gustav Jung en a fait un concept analytique. Selon Jung, la persona, c’est « ce qu’en réalité nous ne sommes pas, mais ce que nous-même et les autres pensent être. » C’est en quelque sorte notre face sociale qui se construit au fur et à mesure de notre enfance. L’enfant apprend à s’adapter aux conventions sociales à travers des codes de communication et de conduite, comme les formules de politesse ou la retenue en public par exemple. Mais son identité se construit aussi en fonction de la liberté que son milieu et notamment ses parents lui laissent pour exprimer ses besoins et désirs. Plus la pression externe est forte, plus il aura tendance à se cacher derrière une identité de façade. Dans l’idéal, l’enfant va développer un savant mélange de conduites adaptées et d’attitudes plus spontanées qui traduiront ses aspirations personnelles. Mais, pour certains, la balance va fortement pencher du côté du conformisme, au point de perdre de vue ce qui fait leur spécificité. C’est ce que le psychanalyste britannique Donald W. Winnicott a nommé pour la première fois en 1960 le faux self.

Faux self ? Persona ? As if ?...

D’après Winnicott, le tout-petit pense que c’est lui-même qui crée les objets du monde extérieur. Pour accéder à la réalité du monde, il aurait besoin de passer par cette illusion. « Lorsqu’il doit renoncer à cette idée pour se conformer à une attente extérieure, c’est-à-dire quand il n’a pas la chance de rencontrer un environnement qui s’adapte à ses nécessités intérieures, il sera profondément attristé », explique le psychanalyste Denys Ribas, auteur de Donald Woods Winnicott (chez PUF). C’est à ce moment-là que le faux self va se mettre en place. « Ces enfants vont exprimer ce dont ils pensent que leurs parents ont besoin pour ne pas être trop tristes. Ils vont écraser leurs angoisses de séparation pour protéger leurs parents. » Ils se coupent donc très tôt de certains de leurs ressentis pour s’adapter à leur environnement familial. « Ces enfants vont développer un self de conformité aux attentes extérieures et non pas un self authentiquement en prise avec leur créativité », affirme le psychanalyste.

C’est effectivement autour d’un défaut d’exploration créative que s’ancre l’origine du faux self chez Winnicott. La créativité s’entend ici non seulement dans le sens artistique, mais englobe plus largement tout ce qui est propre à l’enfant : sa spontanéité, son imaginaire, sa capacité à jouer, à rêver,… C’est ce que Winnicott appelle le vrai self. Lorsqu’un faux self se met en place, il va occulter le vrai self. L’enfant se met au service des autres, au lieu d’écouter d’abord ses propres besoins. Il va développer une sorte de fausse identité qui lui permettra de survivre, mais qui, d’un autre côté, le laissera avec un sentiment d’étrangeté, d’inutilité et de vide.