Figures actuelles du racisme

L'analyse du racisme contemporain suppose de distinguer les opinions d'une part, et les pratiques concrètes de ségrégation d'autre part. C'est en prenant en compte ces deux dimensions spécifiques que l'on peut lutter contre le racisme dans la société et dans l'entreprise.

Il n'est pas possible de considérer le racisme comme un simple héritage idéologique du passé, comme le résidu d'une époque où, associée à la science et s'en réclamant, la notion de « race » pouvait fonder ou accompagner des pratiques de destruction et de domination. Certes, il existe deux constantes dans toute forme de racisme : la différenciation et l'infériorisation de ses victimes. Ces deux dimensions se conjuguent dans des combinaisons variées qui ont toujours existé et le racisme tend à exclure hors des rapports sociaux, et à inclure en leur sein, mais en position subordonnée.

Pourtant, depuis la fin des années 70, des analyses nouvelles sont apparues qui soulignent d'importantes transformations du phénomène en mettant l'accent sur ses dimensions culturelles et sur les mécanismes pratiques de rejet et de mise à distance qu'elles recouvrent 1.

Si une telle inflexion a pu être observée dans des situations nombreuses et diversifiées, c'est parce qu'elle va de pair avec un phénomène majeur : le racisme contemporain accompagne des processus généraux de mutation sociétale. Et dans cette perspective, il n'est pas seulement une des modalités d'un vieux monde qui se défait, il est aussi une des expressions de rapports sociaux qui s'ébauchent.

Limitons nos remarques à la seule expérience française, même si elles valent à bien des égards pour d'autres démocraties occidentales. Le racisme entretient aujourd'hui une relation avec la décomposition des rapports sociaux propres à l'ère industrielle, qu'il s'agisse des rapports de production, et donc de l'exploitation de travailleurs, ou de leurs prolongements, en particulier dans le logement. De même, il se déploie dans la crise des institutions républicaines. Il rend, par exemple, les immigrés responsables des difficultés de l'école publique, de l'Etat providence ou des services publics, alors qu'ils en sont surtout les premières victimes.

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De même la rétraction de l'idée de nation a permis au racisme de se développer dans des versions nationalistes, le plus souvent xénophobes et antisémites qui ont conquis un espace impressionnant ces quinze dernières années. Tout ceci constitue la première face de la médaille, celle qui fait du racisme une expression majeure de l'épuisement de ce qu'on a souvent appelé le modèle français d'intégration républicaine : un système intégré de rapports sociaux, d'institutions et de valeurs culturelles dont l'apogée a certainement eu lieu dans les années 60.

Dans cette perspective, le Front national représente un danger particulier lié à sa capacité à fédérer des expressions jusque-là éclatées des phénomènes de racisme comme les opinions et les préjugés, les discriminations ou encore la ségrégation. En informant et en capitalisant sur le plan idéologique des affects racistes auparavant sans débouché politique, en s'installant dans le paysage institutionnel par la conquête de municipalités et par l'élection de conseillers régionaux, généraux ou municipaux, en créant des syndicats, ou en entrant dans les conseils de gestion du logement social, ce parti unifie des pratiques jusque-là dispersées. Il transforme en projet politique ce qui est d'abord une expression de la grande crise que traverse la société française et son modèle d'intégration.

Individualisme et fragmentation culturelle