Foucault l'Américain

Michel Foucault a aimé les États-Unis, et les Américains le lui ont bien rendu. Une véritable « Foucaultmania » règne encore sur certains campus, notamment sur les questions de genre, d’identité et de postcolonialisme. Mais le nom de Foucault déclenche aussi des réactions épidermiques.

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Dans un compte rendu célèbre écrit en 1987 pour la London Review of Books, le philosophe Vincent Descombes remarqua qu’il existe deux Foucault : un Foucault français, féru de surréalisme, obsédé par la mort, la folie, et la transgression, fasciné par Sade, Georges Bataille, Maurice Blanchot ; et un Foucault anglo-saxon – surtout américain – qui nous offre une boîte à outils pour nous affranchir des pouvoirs disciplinaires et normalisateurs. Le constat est certainement juste, à une nuance près : ce deuxième Foucault semble, à terme, prévaloir sur le premier. Il y a, pourrait-on dire, un « devenir américain » de la pensée foucaldienne, du moins de sa réception. Se pourrait-il que ce soit les Américains qui aient non seulement le plus apprécié, mais le mieux compris sa pensée ?

Le destin américain du philosophe est tout d’abord le fait de sa propre biographie : entre 1970 et sa mort en 1984, il effectue plus d’une dizaine de séjours aux États-Unis. Il découvre l’université de Berkeley, en Californie, qu’il visite pour la première fois en 1975 et qui deviendra sa résidence secondaire intellectuelle comme beaucoup d’intellectuels français de l’après-guerre. Foucault lit avec passion le romancier William Faulkner : en 1970, il fera un pèlerinage dans le Mississippi, l’État d’origine de l’écrivain. Foucault développe aussi un goût prononcé pour la vie intellectuelle américaine. En 1973, alors qu’il prépare Surveiller et Punir, il travaille à la New York Public Library, qu’il décrit dans une lettre comme une « une bibliothèque avec presque tous les auteurs morts du monde au milieu d’une ville avec presque tous les vivants ».

Surtout, il admire le système universitaire qu’il découvre aux États-Unis. Dans un entretien réalisé en 1982, Foucault avoue : « Je ne suis toujours pas bien intégré à la vie sociale et intellectuelle française. Dès que j’en ai l’occasion, je quitte la France. Si j’avais été plus jeune, j’aurais émigré aux États-Unis. » Il reconnaît toutefois que cette affection n’est pas toujours réciproque : certains Américains voient en lui « un homme dangereux, un crypto-marxiste, un irrationaliste, un nihiliste » (en 1970, en pleine guerre froide, Foucault avait en effet du mal à obtenir un visa pour les États-Unis à cause de son bref passage au Parti communiste français dans les années 1950…).

Le pouvoir d’attraction des États-Unis

Foucault semble impressionné par la souplesse, l’ouverture des universités américaines. Il y a un célèbre cliché de Foucault avec Paul Rabinow, l’anthropologue qui fut l’un de ses hôtes à Berkeley entouré d’une classe d’« undergraduates » (étudiants en licence), où l’on voit le philosophe couronné d’un chapeau de cow-boy que les jeunes avaient, bon enfant, posé sur sa tête pour rire : on imagine mal un tel rituel se déroulant à la Sorbonne. Il s’en fallait de peu que Foucault cède à la tentation américaine : en 1982, Foucault songe à démissionner de sa chaire au Collège de France pour s’établir à Berkeley, où on lui propose un séminaire permanent.